Exposé de M. Jean-Marie FÈVRE,
Maître de conférences en sciences de gestion à l'Université de Metz

LANGUES DES AFFAIRES ET MOBILITÉ EUROPÉENNE

Introduction

La principale richesse de l´Europe est constituée par la diversité des talents de ses habitants qui, depuis des millénaires, progressent et relèvent hardiment les défis de leur vie. Que ce soit par dessein ou par nécessité, leur ouverture d´esprit et leur foi dans le progrès humain suscitent chez eux de nouvelles idées, de nouvelles technologies, de nouvelles politiques en dépit des errements parfois tragiques de leur longue histoire. Après les boucheries de la première moitié du vingtième siècle, on avait parlé de « Lazare Européen » (voir la note 1). La génération actuelle doit préparer les voies de celle de demain avec créativité, sans illusions mais sans complexes non plus : l´Europe avance non par nivellement culturel, économique ou politique mais par des solutions originales telle un joyau aux multiples facettes dont l´une est sa diversité de langues dans le domaine des affaires. L´Europe a une place éminente dans le monde des affaires. Il ne faut pas se crisper frileusement mais bouger pour avancer !


1. Place de l´Europe dans l´économie mondiale


Pays ou groupe de pays PIB en k€
2e trim. 2005
Population au 1.1.05 PIB en k€
Par tête
Solde en k€ du comm. ext. Langues principales
Zone EURO 1.951.936 310.923 6,28 + 26.423 9 langues
Allemagne 557.990 82.501 6,76 + 28.200 allemand
France 420.959 60.561 6,95 - 3.470 français
Italie 344.851 58.462 5,90 + 279 italien + allem. + franç.
Espagne 223.743 43.038 5,20 - 12.059 espagnol
Pays-Bas 124.521 16.305 7,64 + 10.016 néerlandais
Belgique + Luxembourg 77.952 10.900 7,15 + 1.089 néerl. + franç. + allem.
Autriche 61.341 8.206 7,48 + 2.689 allemand
Grèce 44.163 11.073 3,99 - 2.347 grec
Irlande 39.311 4.109 9,57 + 9.549 anglais
Finlande 37.964 5.236 7,25 + 1.260 finnois
Portugal 36.191 10.529 3,44 - 2.996 portugais
Union européenne à 25 2.652.249 459.485 5,77 + 18.629 22 langues
Royaume-Uni 444.081 60.034 7,40 - 14.409 anglais
Danemark 51.334 5.411 9,49 + 2.614 danois
Suisse 73.353 7.4185 9,89 non disponible allem. + franç. + ital. + rom.
Norvège 57.517 4.606 12.049 + 8.979 norvégien
USA 2.457.122 294.000 8,36 - 137.168 anglais
Japon (2003) 942.874 127.273 7,41 + 12.189 japonais

Source : Eurostat Octobre 2005 ; calculs de l´auteur

Remarques :

1. La population de la zone Euro est supérieure à celle des USA.
2. Au second trimestre 2005, Le PIB de l´UE à 25 est supérieur à celui des USA.
3. La zone Euro est au cœur des échanges internationaux.


2. Langues européennes des affaires


2.1. Importance des langues en Europe pour la création de valeur et la vie sociale

- Dans la zone Euro, les langues les plus importantes (pour le PIB et la population) sont en % :

1. l´allemand : 30
2. le français : 22
3. l´italien : 19
4. l´espagnol : 14
5. le néerlandais : 8

- Dans l´EEE, les langues les plus importantes (pour le PIB et la population) sont :

1. l´allemand : 20
2. le français : 15
3. l´anglais : 13
4. l´italien : 12
5. l´espagnol : 8

- Les domaines linguistiques ont, sauf pour les Iles (Royaume-Uni et Irlande, Islande), des frontières ne correspondant pas aux frontières politiques. Il en est ainsi pour l´espace germanophone (Allemagne, Autriche, Suisse, Italie, Belgique), renforcé par les langues régionales très proches de lui (ex : en France et aux Pays-Bas) et par les flux transfrontaliers (travail, résidence).

- Ceci vaut dans une certaine mesure pour l´espace francophone (France, Belgique, Suisse, Luxembourg, Italie).

- Il y a des pays utilisant officiellement et quotidiennement plusieurs langues (Belgique, Luxembourg, Suisse, Espagne, Andorre).

- Dans les régions frontalières, bien des gens pratiquent quotidiennement plusieurs langues.

2.2. Conditions du progrès socio-économique et rôle des langues

Pour relever de manière créative et efficace les défis économiques, les pays européens ont besoin de dynamiques entrepreneurs mais aussi de courageux responsables politiques et sociaux qui sachent s´adapter avec des institutions garantissant notamment le bon fonctionnement du droit, des marchés et de la formation.

Un réseau de villes où l´on parle différentes langues accueille des organismes de coopération politique, économique, juridique ainsi que les institutions européennes et internationales :

- villes francophones : Strasbourg (la plus ancienne, la Commission Internationale du Rhin), Bruxelles et Luxembourg (PE et institutions de l´UE), mais aussi Paris (OCDE, UNESCO) et Genève (CICR, OIT, Office International des Brevets, ICO) ;

- villes germanophones : Vienne (AIE, OPEP), Berne (UPU), Bâle (BRI), Francfort (BCE), Hambourg (Tribunal Maritime International) ;

- et aussi Rome (FAO), Madrid (Tourisme), La Haye (Cour Internationale de Justice) et Londres (BERD) ;

- pour la vie des affaires, les Bourses de Francfort, Paris, Londres ; les marchés pétroliers de Rotterdam (1er port mondial) et Zug (Suisse) etc.

2.3. Langues et commerce extérieur : un exemple venant de France

Pour le commerce extérieur, le dynamisme du tissu des PME constitue un élément-clé. Or, une grande enquête réalisée en automne 2004 en France (voir la note 2) fait apparaître les résultats suivants :

Sur 313.000 PME de secteurs « structurellement devant être aptes à l´exportation » parmi les 1.260.000 PME du secteur marchand français,

- 32 % sont exportatrices,
- 18 % sont potentiellement exportatrices (soit 56.000 entreprises),
- 52 % ne se déclarent pas intéressées.

Pour les entreprises percevant des opportunités développement à l´exportation, le second frein est que « les dirigeants sont plus souvent ingénieurs que les exportateurs actuels et qu´ils parlent moins souvent une langue étrangère ».

De même pour les entreprises appartenant à des secteurs à potentiel mais ne voyant pas d´opportunité à l´exportation, le second obstacle mentionné est que « les dirigeants sont moins formés et parlent peu les langues étrangères ».

L´enjeu est donc clair : l´apprentissage de langues étrangères est économiquement crucial !

3. Une nouvelle « lingua franca » ?


Si l´on veut faire des affaires dans un pays, il suffit de parler un anglais de base que nos amis britanniques désignent non sans mépris de « globish ».

Mais si l´on veut faire de bonnes affaires dans un pays, il faut bien parler la langue du pays et s´intéresser à sa culture. Une « lingua franca » approximative conduit d´ailleurs à de douloureux et très coûteux échecs car les sanctions du marché sont sans appel comme le soulignent de nombreux exemples actuels (ex : Wal Mart en Allemagne).


4. Se former en partant en stage en Europe


En dépit des idées reçues et des aides, seule une minorité est vraiment mobile et maîtrise les langues des affaires des partenaires. À l´ère de la globalisation, ce sont ces gens-là qui préparent leur avenir de la manière la plus avisée en investissant dans leur meilleur capital : eux-mêmes.

Pour réussir, il faut donc partir en stage à l´étranger (pensons à Pierre le Grand !).

Il faut à cet égard savoir :

- Qu´un stagiaire doit parler avec du personnel d´exécution (concierge notamment !) et des collègues immédiats. Or, la connaissance de l´anglais est très limitée, très superficielle et le fait de personnes situées plus haut dans la hiérarchie. Dans l´espace considéré (UE-25, EEE et pays candidats), on ne parle vraiment anglais au quotidien et à la base en entreprise qu´au Royaume-Uni et en Irlande. Enfin, mais pas en dernier lieu, si l´on opte pour l´anglais, il faut apprendre un anglais aussi bon que possible et éviter un niveau de base de séries bon marché qui disqualifient vite – surtout au Royaume-Uni. Et ces pays ploient sous les demandes !

- Qu´un jeune aura donc tout intérêt à apprendre une autre langue que l´anglais s´il veut pouvoir partir.

- Qu´il n´y a pas d´acculturation sans préparation. (voir la note 3)

Mais pour apprendre à connaître une langue des affaires et son pays, il faut y aller. Pour réussir un stage à l’étranger, la démarche en cinq étapes complémentaires suivante peut être de grande utilité.

On doit toujours avoir en tête que : « c’est en forgeant qu’on devient forgeron ! »

On peut symboliser cette approche en utilisant l’image d’un fer à cheval porte bonheur comme le suggère le schéma suivant :

Réussir un stage à l´étranger : schéma

Réussir un stage à l'étranger.


- étape 1 : Planifier [long terme] (chez soi : apprendre la langue…)

- étape 2 : Préparer [court terme] (chez soi : budget…)

- étape 3 : Réaliser (sur le terrain : courage, prudence et créativité…)

- étape 4 : Évaluer [court terme] (au retour : analyser le vécu…)

- étape 5 : Exploiter [long terme] (vers l´avenir : « on ne prête qu’aux riches »)

Remarque : Les deux points symbolisent le temps avant puis après le stage : « t – s » puis « t + s ».

Mais qu'en est-il de la mobilité réelle des jeunes en Europe aujourd´hui ?


5. Qui dit « échanges » dit « mobilité »

Études supérieures et mobilité en Europe en 2003
(UE-25, EEE et pays candidats)

Pays ou groupe de pays Nombre d'étudiants Dont en UE-25, EEE et cand. (%) Nbre d'étudiants venant de UE-25, EEE et cand. % sur Total
Zone EURO 10.685 2,14 119 5,31
Allemagne 2.242 1,94 289 2,71
France 2.119 1,94 46,5 2,19
Italie 1.913 1,82 15,5 0,81
Espagne 1.840 1,20 30 1,63
Grèce 561 8,47 10,6 1,89
Pays-Bas 526 1,88 12 2,26
Portugal 400 2,63 2,7 0,68
Belgique 374 2,73 22,2 5,94
Finlande 291 3,20 2,8 0,96
Autriche 229 4,54 23,9 10,44
Irlande 181 7,85 4,3 2,38
Luxembourg 3 206,67 (ns) - -
UE à 25 16.887 2,14 437,7 2,59
Royaume->Uni 2.287 0,57 102,9 4,50
Pologne 1983 1,14 2,2 0,11
Suède 414 2,25 17,3 4,18
Hongrie 390 1,69 7,9 2,03
République Tchèque 287 1,85 8 2,79
Danemark 201 2,64 6,7 3,33
Lituanie 167 2,46 0,2 0,12
Slovaquie 158 8,54 0,7 0,44
Lettonie 118 1,69 0,7 0,59
Slovénie 101 1,98 0,5 0,50
Estonie 63 3,47 0,8 1,27
Chypre 18 83,33 (ns) 0,5 2,78
Malte 8 6,25 0,1 1,37
Norvège 212 4,53 4,5 2,12
Suisse 186 n.d. n.d. -
Islande 13 20,69 0,4 3,08
Roumanie 643 2,22 1,9 0,30
Bulgarie 230 7,74 3,1 1,35
Croatie 121 n.d. 0,2 0,17
Turquie 1918 1,85 2,5 0,13

Source : Eurostat novembre 2005 ; calculs de l´auteur

- Globalement, on constate la faible mobilité absolue des étudiants.

- C´est l´Allemagne qui attire le plus d´étudiants de la zone considérée.

- Mais c´est l´Autriche qui a le plus fort pourcentage (10,44 %) de ses étudiants nationaux.

- La France attire moitié moins d´étudiants de l´espace considéré que l´Allemagne. (voir la note 4)

- Dans la zone Euro, les Grecs, les Irlandais (voir la note 5) et les Autrichiens sont les plus mobiles.

- Très peu de personnes du Royaume-Uni vont étudier à l´étranger. Est-ce lié au fait que c´est le pays où le nombre moyen de langues étrangères apprises par l´élève dans l´enseignement secondaire général (niveaux 2 et 3 de la CITE) est le plus faible ? (voir la note 6)

- Le Portugal, l´Italie et la Finlande sont très peu attractifs.


Conclusion

- La meilleure langue des affaires, c´est celle des collègues et des clients.

- Il faut vivre la diversité des langues des affaires en Europe en étant mobile.

- On contribue ainsi à une prospérité partagée pour l´Europe de demain !

- Quiconque a une solide compétence dans son domaine et maîtrise bien des langues étrangères bénéficie pour sa carrière d’un avantage comparatif décisif.

« Diversité vécue, prospérité promue ! »

(1) L´expression est de Paul Johnson dans: « A History of the Modern World from 1917 to the 1980s », Weidenfeld & Nicolson, Londres 1983, p 575
(2) Cf. « Étude des freins et facteurs de déclenchement des PME à l´export » – Conférence de l´export du 25 octobre 2004 organisée par l´A.F.A.Q. et UBIFRANCE (Agence Française pour le Développement international des entreprises) avec TNS Sofres Finance et Services 2004 pp. 16-17
(3) Cf. pour cela Jean-Marie Fèvre, « Manuel de Gestion Interculturelle », Pierron Sarreguemines 2005
(4) mais en attire bien plus d´autres parties du monde, en particulier de l´Afrique.
(5) mais les Irlandais vont surtout au Royaume-Uni à cause de la langue (avant-dernier rang d´apprentissage)
(6)  Cf. Document Eurostat novembre 2005, collecte des données Unesco/OCDE/Eurostat

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