Allocution de M. Édouard MAUNICK,
Président de la cérémonie de la remise de la Coupe francophone du français des affaires à Port-Louis, Île Maurice, le 27 février 1990
Monsieur le Chef de la Mission de coopération et daction culturelle, représentant M. lAmbassadeur de France,
Monsieur le Conseiller culturel de la mission de coopération et daction culturelle,
Monsieur le représentant de M. Jean-Louis Roy, Secrétaire général de lAgence de Coopération Culturelle et Technique,
Monsieur le Président de lAssociation "Action pour promouvoir le français des affaires", M. Jean Marcel Lauginie,
Monsieur le Directeur de lAlliance française,
Monsieur le Secrétaire général de la Chambre de Commerce et dindustrie de lÎle Maurice,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames, Messieurs.
Avant toute chose, en tant que citoyen à part entière de ce pays, je tiens à rendre hommage à mon Premier ministre, Chef de lExécutif, Sir Aneerood Jugnauth, qui contribue de manière significative à ce qui nous réunit ici, en gardant lÎle Maurice dans lespace francophone, perpétuant ainsi, une belle et bonne tradition.
LAssociation pour promouvoir le français des affaires et lInspection pédagogique régionale en économie et gestion du ministère français de la Coopération et du Développement en résidence à Abidjan, en prenant linitiative dorganiser à lÎle Maurice la version 1990 de la Coupe du français des affaires, concourent à confirmer, sil en était encore besoin, la place de cette petite terre dans limmense univers de la francophonie. Petite terre ai-je dit, mais à la démarche denvergure, tant elle est fertile en désirs de découvrir, en volonté dentreprendre. Tant elle sinvestit dans le fait daccomplir. Cest que, vous lauriez deviné, en découvrant elle se découvre elle-même, jusquaux plus intimes de ses possibilités de pays pluriel ; cest quen entreprenant, elle irrigue ses propres forces et quen accomplissant, elle saccomplit. Ce qui nest pas un faible crédit, lorsquon refait le difficile chemin de son histoire, depuis la mise à sac de ses primitives forêts débène jusquà la verte floraison de ses champs daujourdhui, en passant par les fourches caudines des luttes pour sa liberté dexister et pour la pleine reconnaissance de la dignité de chacun de ses enfants. Soyez donc remerciés de lui faire la place qui lui revient.
Aucun regard en arrière nest superflu en pareille occasion et nous devons admettre quelle est belle loccasion. Il sagit dune coupe du français des affaires. La chose est dimportance. Mais voilà que vous avez en plus, Messieurs les organisateurs, hissé lentreprise à hauteur du MOT DOR. Du coup, vous faites des élèves et des étudiants prenant part au concours, des orpailleurs. Plus que des orpailleurs, des bijoutiers. Vous proposez à leur examen et à leur imagination, une matière à ciseler et à polir sous la forme de mots venus dailleurs, à transformer, à remodeler jusquà rejoindre, sans licence mais en toute liberté, le trésor déjà volumineux du vocabulaire français.
Ces mots, dont la présence, dans le monde effervescent et souvent vertigineux des affaires, est essentielle, pour étrangers quils sont, ne tiennent pas moins leur rôle. Mais il est légitime quune langue aussi riche et hospitalière que le français, veuille, en retour, les rendre conformes à ses propres exigences lexicales. Il nous plaît de penser que le faisant, il cherche davantage à enrichir sa panoplie terminologique quà vouloir appauvrir celle des autres langues. Car il nest pas question détablir ni de prouver la primauté du français sur les autres parlers, mais plutôt duvrer contre une certaine facilité voisine de paresse, qui lexpose à un envahissement préjudiciable à son existence même.
Et nous, francophones de près ou francophones de loin, avons une part non négligeable à jouer, jallais préciser, notre MOT à dire, dans laffaire. Ainsi sexplique pour nous, la tenue de cette compétition dite de la Coupe du français des affaires, au pays de Savinien Mérédac, de Léoville LHomme, de Rémy Ollier, de Raoul Rivet, de Robert-Edward Hart, de Marcel Cabon, de Jean Érenne, de Pierre Renaud et de Jean-Claude dAvoine, pour ne citer que quelques grands disparus parmi lesquels nous nous garderons doublier Loys Masson, Sir Harilall Vagjhee et Malcom de Chazal, hors de lHexagone, dans ce que jai défini jadis, en dautres circonstances, comme un des lieux du francais, là où sélabore, dans tous les domaines où cette langue assure la création, lexpression, le travail ou la simple communication, un vocable en accord avec les identités fondamentales, mais toujours soucieux de ne pas céder à des laxismes outranciers susceptibles de détruire à la place dédifier.
Vous comprendrez, par ailleurs, quen me choisissant pour présider cette cérémonie de remise de récompenses aux lauréats du présent concours, choisis par un jury compétent, vous mavez, en même temps que vous honorez mon pays et ma personne, placé dans une situation peu commune. Du poète, de lécrivain que je suis, vous attendez quil saute à pieds joints dans les affaires et, qui plus est, quil argumente autour dun vocabulaire bien loin de celui quil emploie et que souvent il forge, pour dire et traduire, pour chanter ou proférer dautres réalités non moins réelles que la technique et le négoce. Je vous remercie de mavoir au moins épargné la lourde tâche de faire partie du jury.
Jaurais pu, avec une feinte ou sincère politesse, décliner votre invitation. Mais cela aurait été mentir à mon goût invétéré du risque et à mon insolence non moins tenace. Je veux dire par là, que, en répondant présent à lappel du Président Lauginie, que je ne connaissais pas auparavant, mais qui est vite devenu un ami en partageant, en plein Paris, un repas indien, avec du poulet tika, du curry dagneau et daubergine, du dahl tarka, du paratha et du riz pullao (impossible de traduire cette succulence), jai voulu, moi aussi, entrer dans une arène dont je ne connais que très peu les passes de cape et les passes de muleta, pour en quelque sorte, témoigner, à lexemple des candidats, de ma passion du français. Je lai dit et je le répète, cest une langue qui me fascine en ce quelle est la racine de mon créole natal. Cest dire toutes les permissions quelle maccorde et que je prends avec elle. Si dans les affaires sont nés des mots comme mémoire morte, comme logiciel, comme voyagiste, comme mercatique et jespère, comme coconage pour équivalent de cocooning, pour ne citer que ceux-là, en poésie, pour dire avec plus dexactitude ma condition, notre condition de natif dîle, jai poussé ladjectif insulaire jusquà celui dinsulé ; pour remettre à lheure les pendules du temps passé, assumer le présent et garantir lavenir, je veux déshistorier lhistoire et je continue de réclamer linclusion du mot sega dans le dictionnaire, pour ne pas être en reste avec le one-step, le tango et autre mazurka. Il y a davantage, mais il me faut conclure.
Je le ferai en rappelant combien lOcéan indien est redevable au Haut Conseil de la Francophonie, présidé par M. François MITTERRAND lui-même, davoir assuré notre présence au sein de cette assemblée pluridisciplinaire, pluriculturelle et plurinationale. Et aujourdhui, davoir prolongé cette reconnaissance à travers le déroulement de la Coupe du français des affaires à lÎle Maurice. Comme je lai déjà confié, publiquement, à un précédent Ministre français de la Coopération, un jour, au Plazza de Rose-Hill, nous aussi, petits peuples, avons beaucoup à donner. Nous sommes sensibles au fait, quà travers ses différentes instances, vous acceptiez de recevoir ce que nous vous offrons.
Vive léchange entre la France et la Francophonie et quil soit propice à cette convivialité sans laquelle la Terre est moins habitable et à laquelle nous travaillons tous chacun à sa manière, en partageant la même langue.Retour au sommaire des actes des 2ème et 3ème journées
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