LA MERCATIQUE, CEST DABORD LA CULTURE DE LAUTRE :
Conférence de Philippe BAUX,
Professeur à lUniversité des Sciences Sociales de ToulouseQuel meilleur préambule trouver à ce thème de réflexion que ces quelques lignes empruntées à louvrage du Président LAUGINIE : "Action commerciale - Mercatique" ?
"Laction commerciale, ce sont des choix et une pédagogie. Cest aussi une culture qui na jamais été développée, ni enseignée en tant que telle ; or, lactivité commerciale, terre des échanges, se nourrit tout autant des regards en avant et dexcellence dans les savoir-faire immédiats que des regards vers le passé le plus lointain, autant de lan 2050 et de 1993 que de la route de la soie, de lor du Soudan ou de la pratique monétaire et du troc à Babylone".
La culture est un ensemble complexe de valeurs, de symboles, de modèles de comportements élaborés et transmis par une société. Elle donne des lignes de conduite à laction. Elle est évolutive et sadapte aux changements de lenvironnement. Elle a valeur dintégration, même si elle se subdivise en sous-cultures correspondant à des groupes sociaux différents.
Demblée, le thème retenu suscite une interrogation: existe-t-il vraiment une culture mercatique ? En ce sens, on pourrait se risquer à formuler deux hypothèses quil faut essayer de conforter
- le "marketing" dans sa conception anglo-saxonne a généré une véritable culture commerciale à vocation universelle ;
- dans le cadre de la francophonie, la mercatique constitue une culture dérivée originale qui saffirme progressivement comme une composante spécifique de cette culture globale.I - PREMIÈRE PROPOSITION
Le concept anglo-saxon de "marketing" a généré une culture commerciale nouvelle, qui est pour une très grande part une culture de lautre.
En effet, cest dabord un mode de pensée et une philosophie daction orientés vers le consommateur.
Cest aussi un système de relations entre partenaires à léchange.
1) Sur le premier point, le "marketing" anglo-saxon a fait assaut de pédagogie et de prosélytisme pour imposer une attitude nouvelle : lorientation systématique vers le consommateur. Il faut renoncer à la mentalité doffreur, ne plus imposer son produit ; mais concevoir une offre qui soit la réponse la mieux adaptée possible aux besoins et aux attentes du consommateur. Pour cela, il faut aller au devant du client potentiel, apprendre à le connaître, comprendre ses attitudes, ses comportements et ses référents culturels, diagnostiquer ses désirs. Si le principe daction est clair et facile à admettre, sa mise en uvre est autrement plus complexe et implique lémergence dune nouvelle mentalité à tous les niveaux de lentreprise. En effet, le "marketing" anglo-saxon ne se réduit pas seulement à la fonction commerciale, mais concerne largement les autres responsables. Par imprégnation progressive, des attitudes nouvelles sont nées, des réflexes sont apparus et peu à peu sest forgée une nouvelle culture commerciale. Sa genèse sest faite de façon empirique à travers une foule dexpériences concrètes.
En tout cas, sa caractéristique essentielle est bien cette préoccupation constante de lautre: quelles sont ses motivations ? ses freins ? ses besoins ?
Mais, dans cette démarche, deux voies sont apparues :
- la première est dans le prolongement direct de la logique ainsi instaurée : elle correspond au souci de répondre le plus parfaitement possible aux attentes spécifiques de chaque catégorie homogène de consommateurs dans la limite toutefois des possibilités techniques et économiques : cest la solution classique de la segmentation du marché. Cest encore la démarche plus actuelle de la géomercatique ;
- la seconde correspond à lidée du "marketing" global anglo-saxon développée en particulier par LEVITT. Linternationalisation des marchés conduit peu à peu à une uniformisation des besoins à léchelle mondiale, à lémergence de besoins transnationaux. Dès lors, on peut concevoir un produit standardisé capable de répondre aux attentes des consommateurs de nombreux pays. Et cest la réussite de Gillette, de Mac Do, de Coca Cola ou de Sony dans le monde entier.
2) Il y a un deuxième aspect de cette nouvelle culture commerciale induit par le "marketing" anglo-saxon : cest linstauration dun nouveau système de relations entre les partenaires à léchange.
Cest le sacro-saint principe que le client est roi et quil va falloir mettre tout en uvre pour le satisfaire. Cette position systématique entraîne trois séries de conséquences :
- tout dabord, la capacité découte devient une qualité indispensable. Cest la base du développement considérable des études de marché qui conditionnent la mise en uvre dune saine démarche de mercatique. Cest aussi lorganisation de circuits dinformation et de contrôle pour capter le maximum de renseignements sur les consommateurs en provenance des distributeurs, des prescripteurs, des forces de vente ou des clients eux-mêmes. Témoin le développement des méthodes de panels ;
- cest ensuite le souci dinstaurer un climat de confiance en développant les actions de communication. Cest peut-être un indice révélateur de constater le rôle croissant des techniques de relations publiques au langage plus informatif et technique de préférence aux actions publicitaires classiques. De même, la progression de la vente directe et du hors média est symptomatique de ce souci de personnaliser sans cesse les relations entre fournisseur et client ;
- cest enfin la notion de service, qui semble saffirmer de plus en plus dans la mercatique moderne. La société de consommation (caricaturée par le personnage typique qui change sa voiture parce que le cendrier est plein) semble bien remise en cause. Les récentes analyses du COFREMCA le prouvent. Désormais, le consommateur attend qualité et durabilité du produit ; il attend aussi de plus en plus des services connexes à la vente.
Le "marketing" anglo-saxon a donc bien créé une nouvelle culture commerciale; mais, on peut formuler une deuxième hypothèse:II - UNE NOUVELLE CULTURE MERCATIQUE EST NÉE DANS LES PAYS FRANCOPHONES
Il semblerait en effet que la mercatique présente certaines spécificités par rapport au "marketing" anglo-saxon originel, même sil sagit beaucoup plus souvent de nuances que de véritables différences. Cette originalité tient justement à la prise en compte des spécificités des pays francophones.
Les spécificités de la mercatique apparaissent à travers plusieurs indices.
Au départ, il y a eu ce phénomène révélateur de la dérive sémantique de certains termes comme "merchandising" ou "promotion" par exemple, ou de lapparition de franglais comme "sponsoring". Le remplacement des termes américains ou anglais par des vocables français contribue en ce sens à lever bien des ambiguïtés.
Surtout, une adaptation des techniques américaines sest faite à la situation particulière de nombreux pays francophones. Si lon excepte le cas du Canada, on discerne certaines nuances méthodologiques dans la mise en uvre de la stratégie de communication ou encore dans la conduite des études de marché.
Mais, il apparaît à lévidence que ce sont des différences mineures qui ne permettent pas de revendiquer une véritable originalité conceptuelle et méthodologique de la mercatique par rapport à son inspiratrice américaine.
La véritable spécificité semble provenir davantage de linstauration dun véritable management interculturel pour reprendre lexpression de Jean-Claude USUNIER.
En effet, pour atteindre à lefficacité, la mercatique a dû tenir compte des profondes différences culturelles, économiques et sociales qui caractérisent nombre de pays francophones. Elle a dû accepter davantage la différence que ne lon fait jusquà présent les pays anglo-saxons. Ce contexte socioculturel de lautre devient la préoccupation essentielle du mercaticien. Dès lors, il va falloir essayer de transposer, dadapter avec le maximum de bonheur les systèmes, les techniques, les méthodes, qui ont déjà fait leurs preuves au niveau mondial. On peut prendre comme exemple le développement original de l'École française des styles de vie qui est lillustration de la volonté de détecter des modes de vie différents dans le cadre dune entité européenne de plus en plus affirmée.
Il est possible de se référer également à ce souci de tenir compte de plus en plus des groupes de lenvironnement directement concernés par cette démarche de mercatique ; car, être obnubilé par les seuls besoins des consommateurs sans considérer les distributeurs, les prescripteurs, les fournisseurs, les pouvoirs publics, cest sexposer à de graves risques déchec.
Dans cette optique élargie, la mercatique devient lensemble des activités dindividus ou dorganisations visant à satisfaire par léchange les besoins ou les attentes de groupes déterminés de leur environnement.
Cest bien la confirmation que LA MERCATIQUE EST BIEN EN PRIORITÉ LA CULTURE DE LAUTRE.Retour au sommaire des actes des 4ème et 5ème journées
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