LA LANGUE TECHNIQUE DES AFFAIRES (table ronde) :
Intervention de Loïc DEPECKER,
Chargé de mission à la Délégation générale à la langue françaiseJe reviendrai en quelques mots sur ces grandeurs et misères des termes que nous avons à traiter au sein des commissions ministérielles de terminologie, en disant simplement une chose : jétais à la FNAC il y a peu de temps, j'attendais, et à côté de moi il y a une cliente qui vient en apportant un produit qui était enveloppé ; elle le tend au vendeur. Le vendeur lui dit : "Cest un baladeur ?" et la cliente lui dit oui. Le terme baladeur, lorsquil a été inventé en 1983 , navait aucune chance aux yeux de tout le monde de passer.
Et puis il y a quelques jours, jétais au Salon du Livre du Mans ; cest un salon assez sympathique parce que non seulement il y a les librairies qui exposent sous les chapiteaux, mais il y a aussi les enfants dehors qui vendent leurs livres. Alors je me promenais parmi ces étals, et puis je vois un étal où un jeune garçon vendait sa grammaire latine. Alors je dis : "Mais comment, vous vendez votre grammaire latine ?" Il me dit : "Oui, monsieur". Mais à côté de lui, et là je lui ai pardonné tout de suite, à côté de lui il vendait également justement un "walkman", et sur létiquette sous laquelle il vendait son "walkman" était écrit : "Baladeur, 90 francs". Je trouve que ces petits indices de la vie quotidienne nous montrent que notre travail nest pas vain, en ce sens que progressivement les termes passent.
Cest vrai quaujourdhui on peut assez bien, ou plutôt plus facilement, expliquer le succès de baladeur en ce sens quil y avait dans ce mot quelque chose quon navait pas du tout soupçonné lorsquon la créé : cest que dans baladeur, il y a deux fois le mot balade. Il y a la balade de celui qui se promène, le baladeur, et puis il y a la ballade de celui qui joue de la guitare, la ballade, et lorsquon traduit le terme "walkman", cest vrai quon a limpression que cest un homme qui marche en écoutant de la musique. Il y avait là une trouvaille exceptionnelle, qui je dirais, nous est passée inaperçue au moment où on a créé ce terme, et on peut imaginer maintenant que le succès du mot baladeur est peut-être dû à ses différentes qualités.
Je voudrais dire quil ne sagit pas simplement de publier des mots, je dirais au Journal Officiel, et de se dire par la suite : ces mots vont prendre, ils vont vivre et puis on na plus à soccuper du reste. Je crois quil y a un très gros travail qui est fait, qui commence à être fait dune manière très sérieuse, très rigoureuse par les différentes commissions de terminologie dont la Commission de terminologie économique et financière. Il y a un travail dimplantation des termes, cest-à-dire que lon traite les termes, on les crée, mais il faut également les faire se diffuser, il faut également les faire aimer, il faut également faire quils simplantent. Et la délégation générale sest occupée, depuis lannée dernière, de voir un petit peu sur le terrain, de manière peut-être moins impressionniste que je ne le fais lorsque je me promène soit à la FNAC soit au Salon du Livre, de façon moins impressionniste donc de lancer des enquêtes dimplantation : on a essayé de faire avec les universités françaises une série denquêtes qui sont des enquêtes menées sur le terrain dans des milieux professionnels, dans un certain nombre de domaines, et on essaye de voir par des questionnaires, par des interrogations, par des entretiens, comment les termes qui ont été officialisés au Journal Officiel sont implantés, comment ils sont en usage, comment ils sont employés. Et lon commence à avoir certains résultats qui sont assez impressionnants. Notamment il y a des critères avec lesquels on choisit certains termes et pas dautres, et on est en train ci examiner de près ces critères parce qu'on s'aperçoit que les usagers n'ont pas forcément la même vision des choses que les normalisateurs de langue que nous sommes.
Par exemple, lorsque vous avez sur un écran radar un effet parasite qui empêche notamment de voir la cible, on a inventé pour le "speckle" anglo-américain le terme chatoiement, et pour un technicien des radars, le terme chatoiement est un terme trop connoté positivement pour quil lemploie pour désigner ce quil voit sur son radar qui le gêne, puisque cest le chatoiement dune étoffe, cest la brillance dune étoffe.
Ce qui fait que ce sont des choses, ce sont des critères et des paramètres auxquels on a jamais pensé. Donc ces études de terrain, ces études dimplantation, on en a lancées dans différents domaines, on ne la pas encore fait dans le domaine économique et financier parce que cest un domaine extrêmement vaste, et là il faut absolument embrasser suffisamment de choses pour se faire un avis rigoureux sur la question. On la lancé notamment dans le domaine de linformatique, dans le domaine de la santé, dans le domaine des biotechnologies, de laudiovisuel.
On saperçoit aujourdhui que les travaux qui ont été faits dans le domaine de laudiovisuel, les travaux officiels de terminologie, font quon a une langue de laudiovisuel qui est tout à fait rigoureuse quand on regarde les génériques de films et de téléfilms, à lécrit. Alors là, il y a effectivement matière à réfléchir et à débat : on a une langue de laudiovisuel qui est bien écrite mais qui est mal parlée. Donc là aussi il y aura certainement un travail pédagogique à faire, et je dirai que ces enquêtes dimplantation nous apprennent a posteriori comment il faudrait travailler pour mieux traiter les termes, pour mieux les créer, pour mieux les diffuser.
Dans un domaine plus vaste, cest une deuxième orientation que nous avons prise à la Délégation générale à la langue française, cest dessayer de faire que ces termes, qui sont traités dans différentes instances, puissent se réunir sous la forme dun réseau, ce quon appelle pour linstant réseau national de terminologie, qui pourrait essayer de répondre en mettant des acteurs en présence, où tous ceux qui font la terminologie et qui sen servent surtout, puissent correspondre et travailler ensemble.
Parce quon saperçoit notamment que les entreprises, et là je rejoins la langue du français des affaires, les entreprises saperçoivent de plus en plus que leurs documents font partie de la qualité de leurs produits. Lorsquelles vendent des ordinateurs, je napprendrai pas cela à des sociétés qui sont parmi nous aujourdhui, des représentants de sociétés dinformatique, on saperçoit que pour faire marcher un ordinateur, notamment lorsquil sagit dun ordinateur qui est envoyé dans des pays qui ne sont pas forcément de culture occidentale, il faut tout un appareil de textes et de documentations pour que lordinateur sorte de dessous sa housse lorsquil arrive dans les usines et dans les bureaux à lautre coin du monde.
Et cest vrai que maintenant les entreprises sacheminent vers une sorte de mercatique de la langue qui englobe toute la documentation, toute la rédaction technique, toute la présentation des produits, toute la publicité autour des produits, de façon que ces produits simplantent mieux dans les différents pays et chez les différents clients.
Et on saperçoit également, et là on entre dans la complexité incroyable de la langue, on saperçoit que par exemple des entreprises, et un même service dans une entreprise, vont demander deux textes dune traduction différente parce que le document qui la concerne, quelle fait traduire, la destination de ce document nest pas la même dans les deux cas. Et je trouve quil faut effectivement avoir une mercatique des mots pour mieux les créer, mieux les inventer, mais il faut également mettre ces mots au service de la mercatique. Je vous remercie.Retour au sommaire des actes des 4ème et 5ème journées
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