Allocution de STÉLIO FARANDJIS
Secrétaire général du Haut Conseil de la Francophonie22 octobre 1992
Mesdames, Messieurs,
Mon propos sera très bref, dautant que tout a été dit au cours de cette journée, et je ne voudrais pas vous infliger un discours tout à fait plaqué artificiellement sur des réflexions et des proclamations que vous avez déjà abondamment faites tout au long de cette journée. Je tiens à vous dire que Monsieur Jean-Marcel Lauginie est un de ces pionniers, explorateurs, et créateurs de la Francophonie, et quil serait bon que lon prît la peine un peu plus souvent de prendre son exemple. Lorsque nous nous sommes rencontrés la première fois, il y a de cela quelques années, il avait tout dans la tête. Tout ce qui sest passé depuis, qui sest réalisé depuis, il lavait exprimé dès notre premier entretien. Je me suis contenté de lencourager de toutes mes forces, et dautres ont apporté à ma suite bien plus encore de moyens et de résolutions pour le soutenir. Mais je répète ce que je viens de vous dire : tout était dans sa tête. Cest dire quil suffit de quelques personnes entreprenantes, imaginatives et résolues, pour souvent changer les choses. Je tiens donc à saluer laction de Monsieur Jean-Marcel Lauginie, et son énergie inépuisable.
La Francophonie, vous le savez, est à la fois une donnée de fait démo-linguistique à léchelle du monde, mais cest aussi une communauté organisée, internationale, de solidarité, cest enfin, ne loublions pas, un esprit, un idéal. Comme disait le président Charles Hélou, membre du Haut Conseil de la Francophonie, lancien président du Liban, cest plus quune langue qui nous unit, cest un langage, cest-à-dire une forme desprit, comme dirait le président Senghor, sans laquelle des civilisations nont pas de culture. En un mot, lhumanisme. Mot qui paraît éculé, banal, mais qui sera le maître-mot de la civilisation universelle à venir, à moins que lhumanité ne décide, collectivement, de se suicider.
La Francophonie a été comme une fusée à plusieurs étages, au départ, elle a été essentiellement une entreprise culturelle. Ce sont des enseignants, ce sont des universitaires, ce sont des créateurs, qui en ont pris linitiative et qui se sont organisés. LAgence de Coopération Culturelle et Technique a été laboutissement de toutes ces initiatives et de tous ces élans en 1970. Le deuxième étage de la fusée, je résume, cest, vous le savez, la réalisation du désir caressé depuis longtemps par Norodom Sihanouk, Habib Bourguiba, Hamani Diori, Léopold Sedar Senghor, de donner un toit politique à cette communauté de peuples unis par la langue ou par lesprit. En raison de difficultés sur lesquelles je passerai, cette entreprise na pas pu voir le jour aussi rapidement que ses promoteurs lavaient imaginé, et ce nest quau mois de février 1986 quà linitiative du président français François Mitterrand une quarantaine de Chefs dÉtats et de gouvernements se sont réunis à Paris.
Depuis, vous le savez, un deuxième sommet sest tenu à Québec, un autre à Dakar, le quatrième devait se tenir au Zaïre, les circonstances ne sy sont pas prêtées et il sest tenu au Palais de Chaillot à Paris, le cinquième doit se tenir cet automne à lÎle Maurice, et à chaque fois la famille sélargit. Il ny a pas que des résolutions dordre pédagogique ou culturel qui sont prises à ces sommets, mais aussi des prises de position économiques et politiques dun forum réunissant des responsables à léchelle internationale, et qui dit son mot à lunivers. Ce club sera, et deviendra sans doute un des points déquilibre importants dans un monde qui recherche une organisation juste et cohérente.
Le troisième. étage de la fusée, cest vous, cest-à-dire lespace économique francophone. Monsieur Jean Monnet disait que sil avait à refaire la construction européenne, il commencerait par la culture. On ne sait toujours pas si Dieu a créé dabord la poule ou luf, en tous les cas je suis certain pour ma part quil y aura de plus en plus de personnalités et de forces pour dire quil est nécessaire de consolider la base, létage, le socle économique de la francophonie. Pourquoi ? Parce que nous vivons dans un monde qui sera de plus en plus celui de la révolution nootique. Nous entrons en effet dans un monde qui ne sera plus fondé sur la chasse, la pêche ou la cueillette, ni sur lagriculture, lénergie ou la métallurgie. La révolution du néolithique, puis la révolution industrielle du 19ème siècle, ont connu leur heure. Nous vivons à une autre heure, celle des biens immatériels, celle où la communication et donc toutes les langues et tous les langages sont au cur des processus de production de la richesse et de la valeur. Celui qui pourra manipuler les banques de données, accéder le plus rapidement possible aux banques de données les plus puissantes, sera en tête de la course de lhumanité vers le progrès économique et social. Il ny aura donc aucun espoir pour aucune communauté, fut-elle nationale, internationale, de se doter darmes et datouts suffisants si elle ne donne pas à son expression politique et à sa mission culturelle, une strate, une base, une force, un socle économique. Dautant que le temps de repos, de loisirs des hommes ira en sélargissant, et que la consommation de biens culturels ira en grandissant. Par conséquent, il est absolument nécessaire de se fixer ceci comme une priorité : les francophones doivent se doter de puissantes industries de programmes de télévision, de cinéma, de disques, de livres, de multimédias, sinon il ny aura pas de francophonie viable. Nous avons donc besoin, chers amis, de cet étage de la fusée francophone, qui est létage économique. Et nous en avons dautant plus besoin que le monde francophone est largement composé dune partie quon appelle en voie de développement, qui elle connaît un déficit dentreprises, de chefs dentreprises, de responsables dentreprises, de cadres dentreprises. Par conséquent, un souci majeur pour nous tous, cest daider nos frères de langue du sud à devenir ces cadres dentreprises, ces responsables dentreprises, à acquérir lesprit dentreprise, la culture dentreprise, de former des cadres commerciaux, des cadres de gestion. Cest une nécessité absolue. Et je salue les efforts qui sont entrepris, et non seulement par des hommes comme Monsieur Jean Marcel Lauginie et lassociation quil anime, mais aussi par les responsables du ou des parcs de la francophonie. Je pense à Monsieur André Dubosc à La Rochelle, je pense à lancien ministre, Monsieur Jean-Pierre Prouteau, membre du CNPF, président du ClAN, et qui est le président actuel du Forum International Francophone des affaires. Pour ma part, jespère que vous pousserez dans ce sens, et jespère quau cinquième sommet, celui de Maurice, une décision et des résolutions seront prises en ce sens. Et pourquoi les francophones, cest mon dernier point, ont-ils quelque chose à dire de plus ? Car il faut toujours avoir quelque chose de plus, un label, un style, un cachet. La valeur nest pas seulement la valeur dusage ou la valeur marchande, cest aussi la valeur symbolique. II faut donc avoir ce profil, ce style, cette touche irréductible et irremplaçable qui sappelle lesprit. Eh bien cest parce que nous avons plusieurs choses à dire de particulier. Tout dabord, rappelons que la culture dentreprise en Francophonie se soucie à la fois déconomie, de production, de rentabilité, de profit, mais aussi de formation des hommes et des communautés humaines, de relations sociales riches, et ceci lorsque je discute avec des responsables politiques, culturels ou économiques des pays de IEst, nous est accordé, reconnu, comme une marque distinctive. Ajoutons que nous sommes en même temps ceux qui veulent inscrire leurs idéaux culturels dans la matérialité économique moderne (pour ne pas être dans le vide) et qui stigmatisent ces marchandises affublées de létiquette "biens culturels", alors quelles nont aucun contenu culturel. Le culturel est, pour nous résumer, à la fois le beau, le bien, et le juste. Cest tout cela qui fait notre particularité dans la modernité. Et nous voulons être ceux qui associent les chercheurs, les créateurs et les entrepreneurs. De plus en plus la civilisation universelle ira vers une techno-culture, où les hommes dentreprises, les hommes de la création artistique ou littéraire, les hommes de la recherche scientifique et technologique seront associés de plus en plus étroitement. Par conséquent tous les pionniers qui se donnent la main pour encourager les gens à sexprimer en français, dans le monde des affaires et dans léconomie pour développer une Francophonie économique et donner à cette langue française rayonnante en économie, et à cette Francophonie économique, un atout de plus. un style, un cachet, une marque, qui soient en harmonie avec lhumanisme du 21ème siècle, ont droit à nos félicitations.
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