LHÉRITAGE COMMERCIAL :
Exposé de Jean FAVIER,
Directeur des Archives de France,
Membre de lInstitutCest la deuxième fois que je me trouve parmi vous, et je voudrais dire que je prends très grand intérêt à ce que vous faites. En effet, les langues, et la langue française comme les autres, non seulement ne sont pas indifférentes au monde des affaires, mais il leur arrive de suivre les directions du mouvement des affaires. On nimpose pas une langue. Une langue ne simpose que parce quelle répond à un besoin, parce que ce besoin correspond à un type de relations à travers le monde, de relations entre des femmes et des hommes qui de part et dautre sont producteurs, vendeurs, clients, utilisateurs et parfois en sens croisé.
On a connu une époque qui mest chère comme médiéviste, où le français dans les affaires, cétait litalien dans les affaires. Sur les quais de Bruges au Moyen Âge, on parlait italien. A Séville au 15ème siècle, à la veille du moment où lEurope va rencontrer lAmérique, on parle volontiers italien. Donc la langue ne simpose ni par décret, ni par lenseignement. Elle simpose parce quelle répond à une nécessité. Il me souvient, dans un avion qui me conduisait au Japon, davoir longuement bavardé, parce que le voyage est long, avec mon voisin de route qui était médecin, qui travaillait pour lun des plus grands laboratoires français, et qui me disait: "On menvoie là-bas pour la seule raison que je suis celui qui parle le japonais". Bien sûr, tout peut se négocier dans toutes les langues, mais quand vous pénétrez une culture de lintérieur, quand vous pouvez faire état dune connaissance de la civilisation de ceux chez lesquels vous arrivez, vous avez un atout de plus dans votre manche.
Il faut donc bien le savoir, la langue nest pas seulement le résultat de la présence des hommes daffaires sur une place, elle est le résultat du besoin que les hommes daffaires ressentent de comprendre cette place, de comprendre leurs interlocuteurs, de pénétrer leurs intentions. Il y a là-dedans un peu, non pas de perversité, mais disons despionnage, car il est évident que vous travaillez dautant mieux face à quelquun dont vous entendez ce quil dit quand il se tourne vers son collaborateur. Inversement, il y a aussi le respect quon doit, et je serais tenté de le mettre avant, le respect quon doit à un interlocuteur avec lequel on est venu négocier des affaires difficiles, auquel on na pas lintention de faire de cadeaux, qui na pas lintention de vous en faire, mais avec lequel vous aurez un langage dautant plus fécond quil naura pas le sentiment que vous lavez pris pour un demeuré.
Et à cet égard, nous, Français, nous avons un considérable retard à rattraper. Un retard qui tient à la formation que les gens de ma génération ont reçue. Quand j'étais jeune garçon, on ma appris une chose et une seule : le français se parle dans le monde entier. Cétait représenté en rose sur les cartes Vidal de La Blache, et dailleurs même aux Antilles, en dehors des territoires français. À Haïti, on parle le français. Le français est partout. Cest le langage inverse de celui quon tenait à la même époque au jeune Polonais, auquel on disait : "Mon pauvre garçon, si tu ne sais que le polonais, tu es fichu". En sorte que le Polonais moyen parle quatre langues, et que nous, quand nous en parlons convenablement deux en dehors du français, nous passons pour polyglotte. Il faut bien voir que nous avons été victimes de cette illusion que nous avons eue, et en conséquence, nous avons un petit peu baissé les bras.
Alors maintenant il vous faut maîtriser les marchés étrangers comme le faisaient les Italiens du Moyen Âge, qui me sont chers à bien des égards. Et il ne faut pas se cacher quaujourdhui, nous vivons sur une erreur fondamentale quand nous disons que nous rencontrons partout langlais. Nous ne rencontrons que très peu langlais. Je suis allé donner récemment une conférence à All Souls College à Oxford. On ma prié de parler français ; le menu de la salle à manger était rédigé en français. Quand j'ai remercié, croyant à une délicatesse, on ma dit : "mais non pas du tout Monsieur, depuis la guerre de cent ans les menus à All Souls College à Oxford sont en langue française". Bon, là nous navons aucune difficulté.
La langue qui nous barre la route, ce nest pas langlais, cest laméricain. Et il faut être assez raisonnable pour le dire et en tirer les conséquences. Cest-à-dire que nous rencontrons devant nous une langue, jespère ne vexer personne, jespère quil ny a pas ici une personne qui puisse se froisser de mon propos, nous rencontrons une langue avachie, comme lest le français de certains interlocuteurs que vous pouvez parfois rencontrer, et moi aussi. Le vrai combat, il nest pas entre la langue de Molière et la langue de Shakespeare. La langue de Shakespeare, elle, na pas débordé lîle ; la langue de Molière, nous la connaissons. Le vrai combat, il est face à une langue portée par les technologies contemporaines, portée par le "marketing" contemporain, et qui est laméricain, cest-à-dire une langue où les mots ont perdu la moitié de leurs lettres et où les phrases ont perdu toute structure. Jajouterai, où la prononciation a perdu toute originalité en gagnant toutes les originalités possibles. Cest dailleurs ce qui facilite la vie aux États-Unis à cet égard : quel que soit laccent que vous ayez, il est bon. Alors quest-ce que veut dire notre attitude vis-à-vis de notre langue ? Premièrement, M. Léauté vous a parlé des problèmes de terminologie et je voudrais déblayer le problème, peut-être un peu rapidement. Le vrai problème nest pas de savoir si on doit dire "week-end" ou pas. Proust a déjà dit week-end avant nous. Jajoute à lintention de nos amis canadiens que chez eux "fin de semaine" veut dire samedi et dimanche, et que chez nous, ça veut dire vendredi soir. Cest très clair : quand vous dites "on verra ça à la fin de la semaine", si vous dites ça à votre secrétaire ou à vos collaborateurs, ça veut dire vendredi soir ou samedi matin, ça ne veut jamais dire dimanche.
Le problème nest pas de savoir si une langue peut senrichir dun certain nombre de paroles, de mots venant de létranger. Au long des siècles et de deux millénaires, le français na pas cessé de senrichir. Dans le même temps, langlais avait acquis beaucoup plus de mots français que la France na acquis de mots anglais, et je pourrais en dire autant de toutes les langues européennes. Le propos est différent. Il est de savoir, comme le soulignait tout à lheure M. Léauté, si, chaque fois que nous avons à qualifier quelque chose qui nest pas encore qualifié, nous adoptons systématiquement le vocabulaire dautrui, il est là le problème. Ce nest pas de dire : "je pars en week-end", ou ce nest pas de dire : "il y a du fading sur la radio". Le problème est de savoir si, à chaque fois quun problème nouveau demande à être qualifié par un ou deux mots, quune invention nouvelle demande à être qualifiée par un ou deux mots, nous adoptons systématiquement ce que dans la même demi-heure ont inventé nos interlocuteurs américains, non pas anglais, ou bien si nous mêmes nous proposons quelque chose, conforme au génie de notre langue. Je prends génie au sens exact du terme, je ne suis pas mégalo, cest-à-dire un génie parfaitement compréhensible de tous les pays latins. Parfaitement compréhensible des Italiens, des Espagnols, des Portugais et des malheureux Roumains qui un jour réapparaîtront dans notre horizon quotidien ou hebdomadaire.
Il faut bien voir que la formation dun mot en français est quelque chose qui peut emporter ladhésion dautres ères linguistiques, et à travers lère linguistique hispano et lusitano-hispanique, je me permets de vous rappeler que vous avez quand même toute lAmérique latine, le Brésil dun côté, le reste de lautre, depuis lextrême sud de lArgentine jusquau nord du Mexique et même, il faut bien le dire, jusquau sud des États-Unis, notamment dans le sud de la Californie. Alors, il y a quand même là des relations à établir, et je plaiderais volontiers pour que nous jouions la carte des autres, la carte de la diversité.
Je me suis trouvé récemment, comme président du Conseil international des archives, devoir présider à Prague une réunion de mes collègues de lEurope centrale ; il sagissait de voir comment on allait les aider à sen sortir. En ouvrant la séance, jai dit : "quelle est la langue commune à tout le monde ?" On a fait le bilan rapidement : la seule langue que tout le monde parlait à peu près, cétait lallemand. Et jai délibérément, et avec joie, arbitré quon allait parler allemand et je nai pas besoin de vous dire la tête de mon collègue anglais, qui avait lhabitude que ce soit langlais, et éventuellement quelques mots de français pour me faire plaisir. Jajoute quen plus, il avait des difficultés en allemand. Mais mon collègue italien un jour me dit : "Est-ce que tu me soutiens pour litalien, parce que sinon moi jen ai assez". Je lui dis : "Bon, je veux bien parler italien un petit peu, mais en revanche, dans les moments où tu as le choix entre langlais et le français, tu noublies quand même pas le français, parce que sinon, moi je ne te dis plus un mot ditalien". Affaire réglée. Le Chancelier Kohl me disait un jour : "Moi, je ne demande pas mieux que de rendre le français deuxième langue obligatoire, mais je voudrais au moins que lallemand ne soit pas la huitième langue en France, parce que sinon, je ne peux plus marcher".
Il faut bien voir que nous navons pas les moyens dêtre majoritaires face à laméricain. Je nai pas dit langlais, je le répète, laméricain. Nous ne pouvons plus être majoritaires face à laméricain. Mais nous pouvons parfaitement, avec lensemble des langues de vieilles civilisations qui sont celles de nombre de nos amis, arriver à faire en sorte que nos collègues américains, nos interlocuteurs américains, sachent quils ne réussissent pas tout en ne connaissant que laméricain, quil faudrait peut-être penser aux autres langues. Autrement dit, il y a dabord ce que les spécialistes des affaires que vous êtes connaissent et qui consiste à dire : "Laméricain, ce nest pas la langue de tout le monde. Il y a dautres langues de par le monde". Et, à ce moment-là, nous y aurons une position très forte, parce que dautres sont tout prêts à nous soutenir, en sachant que nous pouvons être leaders pour eux. Je voulais dire ceci clairement : ce nest pas simplement en disant "on a un mot français à la place dun mot anglais", cest aussi en étant compréhensif envers dautres qui mènent un combat pour que soit sauvée leur langue, que nous pouvons faire en sorte dêtre la première des langues qui se met en travers de la primauté effrayante de la langue américaine, ou plutôt de la pseudo-langue américaine, cest-à-dire de cette langue abâtardie dont jai eu loccasion de parler tout à lheure.
Reste le problème de la langue usuelle. Vous êtes, ou vous allez être, dans les affaires ; vous vous rendez à létranger, et vous rencontrez à ce moment là toutes sortes de gens qui, quelle que soit leur langue natale, vous disent : "On pourrait parler anglais". Je rappelle lexemple que jai cité tout à lheure de ce médecin qui se rendait au Japon, là cest un effort intellectuel à accomplir. Ce nest pas en arrivant, en mettant le poing sur la table en disant : "On parle français, sinon je men vais". Cela dit, je lai fait une fois, pour ne rien vous cacher. La scène sest passée à Mexico ; la réunion sest tenue bilingue, le matin, et à midi il y avait un déjeuner ; au déjeuner, jétais avec mon collègue canadien qui était anglophone et le britannique qui était anglophone ; comme je suis un homme courtois, jai parlé anglais à table parce que jétais minoritaire. Quand on est revenu en salle de séance, on ma dit : "Puisquon a entendu que vous compreniez langlais, on a supprimé la traduction". Jai posé mon casque, jai dit : "No translation, no Favier". Cest comme ça que je suis allé visiter le musée. Le lendemain, on avait rétabli le français comme langue de travail, pour moi et pour moi seul. Il y a donc des moments où il faut mettre le poing sur la table. Il faut être clair là-dessus. Il y a dautres moments où ce nest pas en mettant le poing sur la table quon convaincra les autres. Et là je voudrais vous dire, que vous, hommes daffaires, femmes daffaires que vous êtes, ou que vous allez être, vous êtes responsables comme le sont les femmes et les hommes de science.
Lautre jour, M. Lichnerowicz, lun des plus grands mathématiciens de notre temps et qui a lavantage pour nous dêtre français, me dit : "Moi, cest très simple, je nai pas de problèmes, en mathématiques, nous publions en français, bon, et les mathématiciens américains lisent le français". Pourquoi ? Oh, il y a une raison simple ! Il ny a pas besoin de laboratoires compliqués et de crédits énormes pour être un génie en mathématiques, donc la France a pu garder sa place. En physique, vu la rotation des matériels, nous ne tenons pas le coup devant les équipements américains. Cest pourquoi il faudrait claironner un tout petit peu plus quon vient dattraper un prix Nobel, quand on sait à quel point lAcadémie qui décerne les prix Nobel nest pas portée à faire la place à la France aussi souvent quelle le pourrait. Nous avons un prix Nobel de physique. Mais je madresse maintenant à vous : quand vous allez réussir un certain nombre de choses, vous êtes en train de faire la voie du français. Quand vous allez conquérir un marché, vous êtes en train de faire la voie du français. Et un jour où un médecin se plaignait à moi, parce quil était obligé, me disait-il, de publier en anglais ses découvertes, je me suis un peu fâché, je lui ai dit : "De deux choses lune : ou elles nont aucun intérêt et vous continuez, ou bien elles ont de lintérêt, vous pourriez publier en français, peut-être que les autres feraient leffort de vous lire. Parce ce que si vous publiez en anglais vos découvertes, comment voulez-vous que la langue française sen sorte ? Si vous les publiez en français et si elles ont de limportance, les autres sarrangeront bien, tôt ou tard pour se dire que dans loutillage mental dun savant, eh bien, il y a à savoir le français". Nous, nous savons que dans notre outillage mental, il y a à savoir un certain nombre de langues. On nest pas archéologue sans savoir lallemand ; on ne fait pas de lhistoire du Moyen Âge sans savoir litalien ; on ne fait rien sans savoir langlais. On le dit, on le sait maintenant, mais il faut le faire savoir aux autres. Et il dépend de la qualité de votre action, que vos interlocuteurs ne se disent plus : "Voilà une dame ou un monsieur qui vient à Honolulu pour essayer de vendre sa camelote, il na quà parler notre langue", mais quil commence à se dire : "Il va falloir que jaille traiter avec lui à Paris, il faudrait mieux que je sache sa langue".
Ça suppose à un certain moment, des comportements relativement brutaux. Jai un jour reçu un important homme daffaires américain, qui sétait permis une outrecuidance : il mavait dit quil avait envie de me rencontrer, il ma envoyé un billet de première classe pour Sait Lake City. Je lui ai répondu que je navais pas besoin de son billet, que sil avait envie de me rencontrer, quil vienne à Paris. Et voyant venir le coup, jai demandé un interprète pour langlais au Quai dOrsay qui ma dit, vous parlez de quoi ? Jai dit : "Non, je sais ce que je dis". Il est entré dans mon bureau, il ma dit quil était "Nice to see me", et jai demandé de me traduire. Et chaque fois quil me disait : "Yaa", je disais "Quest-ce quil a dit ?", linterprète me disait : "Il a dit oui". Eh bien, je peux vous dire quà la fin de la négociation, cest lui qui a capitulé. Jai obtenu ce que je voulais parce que javais déstabilisé le monsieur. Il était entré dans mon bureau persuadé que cétait une terre conquise, et quen entrant : "Nice to see you", jallais lui dire : "Monsieur, vous avez plein de dollars dans vos poches, je cède". Et je lui avais fait savoir que premièrement, il était chez moi, deuxièmement, sil voulait me parler, il y avait un interprète, ce qui lui démontrait quil avait un handicap terrible à ne pas savoir le français. Je ne vous dis pas quil aura appris le français à la suite de ça, je vous dis simplement : attention, si vous avez quelque chose de sérieux à vendre, si vous vendez des méthodes qui inspirent le désir de vous imiter, on viendra voir ce que vous faites, et si vous lexpliquez en français, si vous le vendez en français, on se servira de votre français. Mais je voudrais ne plus voir, comme je lai vu récemment, un produit fabriqué en France, dont le mode demploi était en anglais et en japonais. II ny avait pas le mode demploi en français. Je regrette simplement que le mode demploi ne se soit vu quune fois le paquet ouvert, sinon je laurais probablement rendu au fabricant. Et je nai pas eu le temps denvoyer la lettre que javais envie de lui envoyer. Mais soyez efficaces, et la langue française y gagnera. Et vous à ce moment-là, vous pourrez montrer les qualités de cette langue française.
Vous pourrez montrer à quel point elle est une langue de clarté, de précision, de nuances. Ce nest pas indifférent les nuances. Vous le voyez même en mathématiques, alors que pourtant en mathématiques, on pourrait penser que les chiffres sont internationaux. Ce nest pas vrai, il y a parfois une phrase qui éclaire le tout, et cette phrase, elle demande à être dune très grande finesse, dune très grande précision, et non pas dune brutalité.
Alors, il y a des choix à faire. Lun des choix, cest évidemment de baisser les bras, cest ce que font en ce moment nos amis néerlandais, ils mont dit carrément, nous on baisse les bras. "Maintenant, même en réunion de travail interne, nous parlons anglais. Aux Pays-Bas, nous parlons anglais, entre nous". Bon, on veut bien dire que cest leur affaire. Ça sappelle baisser les bras, et si tout le monde en fait autant, cest laffaire dun siècle, même pas, 50 ans, et puis cest terminé.
À un moment, jai dit quand même à un de mes amis américains : "Faites attention à ne pas faire trop les malins, nous avons fait les malins autrefois. Tout le monde savait le français. Vous, vous faites les marioles en ce moment. Faites attention, le jour où vous parlerez patois devant le japonais, quand les Japonais vous diront : "Ah, vous ne savez pas le japonais, désolé Monsieur". Et ils ne sauront même pas dire "Sorry". Autrement dit, ces suprématies linguistiques sont éphémères, et par conséquent, ne jouons pas davance gagnant celui qui en ce moment tient le haut du pavé. Jouons au contraire gagnante une diversité où nous avons une place qui est de premier ordre, plutôt quun leadership où nous ne pouvons pas facilement reconquérir une place qui est au prix de crédits énormes pour les technologies contemporaines.
Mon propos est très simple : à travers la langue des autres, nous essayons de comprendre leur civilisation, de comprendre leur culture. Faisons comprendre aux autres, et là je parle en historien, que, sils veulent nous vendre, sils veulent nous acheter, sils veulent que nous travaillons ensemble, sils veulent que nous financions ensemble, ils ont intérêt à ne pas négliger ce capital extraordinaire de civilisation, de culture, quest notre langue. Faisons comprendre à nos interlocuteurs que pour nous parler affaires, il faut nous connaître. Je voudrais donner un exemple précis à cet égard, bien que portant sur plusieurs têtes. Les pays qui ont le plus besoin de travailler avec nous savent parfaitement la chose quand il sagit de désigner un ambassadeur à Paris. Un jour, un de mes amis ma fait un cadeau ; il ma offert une lettre de Mérimée comportant deux fautes dorthographe. Mérimée, vous connaissez. Deux fautes dorthographe de Mérimée, cest une rareté. Cet ami était ambassadeur en poste à Paris, et pas francophone dorigine. Il avait repéré les deux fautes de Mérimée. Bon, quand nous avons la chance de voir venir à Paris en poste, des ambassadeurs maîtrisant parfaitement la langue française (oh, jai connu un brutal qui ne savait pas un mot !) mais, heureusement les pays de fine civilisation que sont lAllemagne fédérale, que sont la Grande-Bretagne, que sont lItalie, lEspagne, etc. ne nous enverraient jamais quelquun qui soit uniquement capable de comprendre la superficie de la France. Ils nous envoient quelquun qui soit capable de nous comprendre, en maîtrisant notre langue.
Cest vous dire quil y a un enjeu que les autres perçoivent très bien, qui est que, dans votre monde, le monde des affaires, bien sûr, on peut vous dire brutalement "Ça coûte combien ?" Il est infiniment plus nécessaire daller au fond même de ce pays quils essaient, non pas de conquérir, vous êtes là pour y veiller, mais de transformer en interlocuteur permanent. Et par conséquent, le conseil que je me permets de vous donner pour clore, serait très simplement le suivant : ne croyez pas que lon pourra, par voie réglementaire, en mettant le coup de poing sur la table, dire aux autres : "Maintenant, cest fini la rigolade, la récréation est finie, vous allez vous remettre au français". Cest en étant tous les jours, chacun dentre vous, celui qui persuade les autres que sil ne comprend pas le français, il est fichu. Fichu dans le cas précis de vos affaires à vous. Chacun dentre vous nest pas en garde de lensemble du monde francophone et de lensemble de la langue française, mais si chacun pour soi fait comprendre à son interlocuteur quil a perdu, sil nest pas capable de vous comprendre, ce qui peut être pour vous la nécessité de le comprendre aussi. Je me répète, vous obtiendrez dautant plus des Allemands quils parlent français, que vous respecterez la langue allemande. Vous obtiendrez dautant plus des Portugais quils reviennent au français, que la jeune génération est en train doublier, que certains parleront la langue portugaise, qui est quand même parlée au Portugal et au Brésil, ce nest pas si petit que ça. Limpérialisme linguistique est fini. Cest souvent par un respect mutuel que vous obtiendrez que la langue française joue un rôle, non pas passéiste : "Ah, la langue de Molière !" Non, cest fini ça. On aime beaucoup Molière, mais cest terminé. Nous avons une civilisation du vingtième siècle. Cette civilisation du vingtième siècle, elle sappréhende à travers notre langue, et cest vous qui pouvez y faire quelque chose. Alors je vous demande de vous en souvenir. Il faut à certains moments être diplomate, à certains moments, être un peu brutal, cest vrai, mais il faut en toutes occasions se souvenir que tout point marqué, est un point marqué par la collectivité, et que chacun de vos interlocuteurs que vous aurez convaincu quil a grandement à souffrir de ne pas savoir le français, cest, pour vous, une action menée au bénéfice de tous. Voilà ce que je voulais vous dire. Jai peu parlé en historien, jai peut-être plus parlé en homme qui préside une organisation internationale, et qui rencontre sur tous les chemins du monde la langue américaine. Je suis maintenant obligé de vous dire une chose : je parle américain avec mon collègue américain, mais je parle français avec mon collègue anglais.
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