LA DEUXIÈME DICTÉE FRANCOPHONE

À l'initiative de la commission culturelle de France-Québec, une dictée francophone a été proposée, pour la seconde fois, dans le réseau. Une opération doublée d'une action de solidarité : chaque participant offrait 1 euro, remis à l'Adiflor qui distribue des livres en français dans les pays en voie de développement.

les lauréats de Besançon

À Besançon, Franche-Comté-Québec a organisé la dictée en partenariat avec le Centre de
linguistique appliquée. Les lauréats des trois catégories (Français, étrangers francophones
et non francophones) ont reçu un n° de France-Québec magazine.



Le texte de Jean-Marc CHEVROT (APFA - Le Mot d'Or)

Après avoir observé des flamants roses, Alexandre admira deux juments, l'une alezane ou baie, l'autre noire comme du jais, assez rares en Camargue. Faisant bouléguer une lagremuse qui se soleillait près d'une cougourde, il alla s'asseoir sur la murette d'un mas aménagé en auberge, orné de bougainvillées orangées et surmonté d'oriflammes bariolées comme maints édifices commerciaux. Il y lut les pages cent quatre-vingts à cent quatre-vingt-dix de son guide de Provence en écoutant des plains-chants diffusés par le haut-parleur criard d'un cabanon voisin. Ce raffut n'eut pas l'heur de lui plaire. Escagassé, il entra dans le mas pour boire une citronnade ou une limonade et taster un chichi. Comme goustaron, il eût préféré un pan bagnat niçois. L'auberge était pleine de gardians, réunis pour boire le pastis en blaguant avec un félibre et esquichés comme des anchois.

Lassé des ciels indigo de Provence, Alexandre se rendit en Belgique. Au cours d'un avant-midi, une drache l'obligea à s'abriter sous une aubette, en compagnie d'une agace et d'une aronde aussi transies que lui. Il en profita pour écrire des cartes-vues à ses amis. Mais un mêle-tout vint le mettre en bouteille à cause de son accent, prétendument nonpareil, et il préféra se réfugier dans un centre commercial où il acheta un cramique, un pistolet et un maroilles de Flandre. Il parvint enfin chez un ami, un préfet d'athénée, bourgmestre de surcroît, qui venait de prendre sa pension. Il le trouva en pleine brette avec son petit-fils, un jeune taiseux qui avait perdu son journal de classe et qui était assez porté à faire le chat. Les deux protagonistes s'étaient laissé gagner par la véhémence. Quoique, dans son for intérieur, il approuvât le grand-père, il préféra ne pas prendre parti.

Alexandre embarqua ensuite sur un vraquier québécois qui retournait à Montréal et qui fut accompagné pendant quelque temps par des orques étonnées. Muni de crayons, d'aiguise-crayons et d'effaces, et quelque remuants que fussent les cétacés, il se désâma pour les dessiner. Il fixa, avec des broches à linge, ses dessins sur le babillard du navire. À l'arrivée, c'était l'hiver des corneilles. Il neigeait et les charrues à neige parcouraient les rues. Il acheta des claques sans barguigner et pouça pour rejoindre une maison où il devait chambrer. Ce fut très long, car c'était l'heure des travaillants, et très achalant, car il était monté avec un niaiseux qui se croyait. Sa chambre était glaciale. Il enfila un chandail, alluma la fournaise et se blottit sous une douillette.

Lexique

PROVENCE

Bouléguer : bouger, se déplacer.
Une lagremuse : petit lézard gris.
Se soleiller : s'offrir au soleil.
Une cougourde : citrouille.
Un mas : maison typique du Midi de la France.
Un cabanon : petite résidence secondaire.
Escagasser : agacer.
Taster : goûter.
Un chichi : beignet.
Un goustaron : casse-croûte.
Un pan bagnat (Nice) : petit pain rond dont l'intérieur est garni d'une salade niçoise.
Un gardian : gardien de troupeau à cheval.
Le pastis : boisson alcoolisée aromatisée à l'anis.
Blaguer : parler, bavarder.
Un félibre : écrivain, poète de langue d'oc.
Esquichés comme des anchois : serrés comme des sardines.

BELGIQUE
Un avant-midi : matinée.
Une drache : forte averse, pluie battante.
Une aubette : abri à un arrêt d'autobus.
Une agace (ou agasse) : pie.
Une aronde : hirondelle.
Une carte-vue : carte-postale.
Un mêle-tout : importun.
Mettre en bouteille : mettre en boîte, se moquer de.
Un cramique : pain au lait et au beurre, garni de raisins de Corinthe.
Un pistolet : petit pain au lait.
Un maroilles (France) : fromage à pâte molle fabriqué en Artois et en Flandre.
Un préfet d'athénée : proviseur de lycée.
Un bourgmestre : maire.
Prendre sa pension : prendre sa retraite.
Une brette : dispute.
Un taiseux : personne taciturne.
Un journal de classe : cahier de textes.
Faire le chat : faire l'école buissonnière.

QUÉBEC
Un aiguise-crayon : taille-crayon.
Une efface : gomme.
Se désâmer : faire beaucoup d'efforts.
Une broche à linge : pince à linge.
Un babillard : tableau d'affichage.
L'hiver des corneilles : chute de neige abondante au printemps.
Une charrue à neige : chasse-neige.
Des claques : couvre-chaussures imperméables en caoutchouc.
Barguigner (ou barguiner) : marchander ("sans barguigner" signifie aussi "sans hésiter").
Poucer : faire du pouce, c'est-à-dire de l'auto-stop.
Chambrer : louer une chambre meublée dans une maison privée.
L'heure des travaillants : heure de pointe.
Achalant : agaçant, irritant.
Un niaiseux : imbécile, idiot.
Se croire : avoir une idée trop flatteuse de soi-même.
Un chandail : gros tricot de laine, pull-over.
Une fournaise (fam.) : appareil de chauffage.
Une douillette : couette, édredon.

Remarque sur l'orthographe de "ils s'étaient laissé gagner" : le Conseil supérieur de la langue française a préconisé l'invariabilité de "laissé" par analogie avec celle de "fait" dans "ils s'étaient fait prendre".

(France-Québec Magazine, n° 123, Printemps 2002)

Sommaire des articles de presse de 2002
Sommaire de la revue de presse
Sommaire du Mot d'Or
Sommaire général