LANGUE FRANÇAISE

 

Ne dites pas "web agency", mais metteur en toile

Comme disait votre grand-mère, la vie est un éternel recommencement. Et comme aurait dû dire Voltaire, l’Europe est une grande famille : pendant que les cadets intriguent dans l’ombre pour se faire une place au soleil, les aînés s’envoient des taloches et tirent la couverture à eux. Et c’est ainsi que, malgré les sirènes lugubres des Cassandre annonçant la victoire définitive des frères siamois Angle et Saxon, le vieux Gaulois est en train de reprendre de la plume du coq. Jacques Chirac lui-même a lancé les sommations d’usage : "Nous serons plus vigilants que jamais" sur l’utilisation du français comme langue officielle des organisations internationales, a-t-il promis en clôturant à Beyrouth le neuvième Sommet francophone.

Cela tombe bien. L’Apfa (Association pour promouvoir le français des affaires) vient de mettre à jour son édition 2002, à seule fin de prouver qu’il ne faut pas confondre intelligibilité et précipitation. Ainsi l’Hexagonal consciencieux préférera au tranchant net economy la conviviale
économie de réseau.

Car si c’était la concision d’un idiome qui faisait son succès, nous en serions encore à grommeler des onomatopées au fond d’une grotte, autour de trente racines désignant principalement les ossements, le silex, la cuisse d’urus, la foudre et la bave de mammouth. Pour ce qui est de la subtilité de la pensée, c’est un peu court. S’exprimer avec des mots de trois lettres n’est pas un prétexte suffisant pour dominer le monde, sinon cela se saurait.

Comme on dit très loin de chez nous : no comment

Quoi, cela se sait? Quoi, L’homo sapiens est naturellement enclin au moindre effort ? Quoi, l’anglais ? Ce n’est pas parce que "I want a cheap access to the net" se traduit par "Je désirerais un accès à la Toile qui ne soit pas trop dispendieux", que l’Apfa n’a pas raison de se défendre.

Voilà pourquoi, dit-elle, on ne dit pas business cluster, mais grappe d’entreprises. Le Web agency sera remplacé par metteur en Toile, le profit warning par l’alerte aux résultats, le friday wear par la tenue décontractée, la cosmetic vallev par la
cosmétopole.

On en découvre de bonnes. La récente suprématie du patois de Shakespeare est une erreur judiciaire. La preuve : savez-vous comment le sabir soi-disant simplificateur des affaires ose appeler l’excédent brut d’exploitation? Earnings before interests, taxes, depreciation and amortization, comme on dit très loin de chez nous : no comment.


De toute façon, les Romains aussi avaient des formules lapidaires. Ils étaient capables d’exprimer deux phrases en sept lettres. Eo Urbs - je vais à Rome. I - vas-y. Eh bien, cela ne les a pas empêchés de se faire massacrer par des barbares dont la structure linguistique agglutinante formait des mots plus longs qu’un jour sans pain. Un jour sans bagarres,
I mean.

Vésiane de VEZINS
"Le Figaro"

Des mots en or pour parler affaires !

"Prototype" plutôt que "concept car", "Bon à tirer" plus simple que "final corrected proof", "Personnel en contact" plus parlant que "customer contact employee", les Mots d’Or nous rappellent que les mots existent en français... à condition de continuer à penser.

Jean-Marcel Lauginie, président de 
"Action pour promouvoir le français des affaires
"

Les précieux "Mots d’Or" ont distingué en 2002 plusieurs journalistes et écrivains, notamment le professeur Claude Hagège, l’écrivain Vassilis Alexakis, les journalistes Frédéric Lemaître (Le Monde), Dominique Bromberger (France Inter), David Pujadas (France 2), Jean-Pierre Colignon (Le Monde), ainsi que la section suisse de l’UPF, lors de la 15e "Journée du français des affaires", jeudi 21 novembre au Centre de conférences Pierre-Mendès-France, sis au ministère de l’Économie et des Finances à Paris. Deux "Mercaticiens d’Or", ont en outre été attribués à d’anciens lauréats, plusieurs fois primés : Jean-Pierre Colignon, chef correcteur du groupe Le Monde et Loïc Depecker, professeur de linguistique et de terminologie à l’Université Sorbonne nouvelle Paris 3.

L’attribution annuelle des Mots d’or est l’une des activités de l’association francophone de promotion des langues "Action pour le français des affaires" (APFA), présidée par Jean-Marcel Lauginie et dont on peut couramment dévorer des yeux le site hébergé par l’UPF (www.presse-francophone.org).

Les Mots d’Or, proclamés à l’occasion de la Journée du français des affaires, distinguent aussi bien des autorités de la langue française, que des amateurs et des actifs du monde de l’économie, des finances et du commerce. Les Mots d’Or récompensent par vocation "la volonté d’entreprendre fondée d’abord sur la créativité dans la maîtrise du vocabulaire des affaires en français et dans chaque langue maternelle et honorer également les personnes engagées dans la promotion de notre langue et des cultures du monde”. Le champ est d’autant plus vaste que des épreuves organisées dans les centres culturels français et les établissements scolaires de tous les pays ouvrent le concours aux jeunes du monde entier. Au total, 16 professionnels de la langue française ou des affaires et 26 étudiants de 21 pays ont été récompensés à Paris pour leur créativité ou leur maîtrise du vocabulaire des affaires, lors de la manifestation présidée par Bernard Cerquiglini, délégué général à la langue française et aux langues de France du ministère de la culture et de la communication. Le concours annuel des Mots d’Or avait attiré, en mars dernier, 31 702 candidats dans les établissements d’enseignement et les centres culturels français. Aux résultats, 3 900 lauréats ont été distingués pour avoir su "décrire leur projet d’entreprise et exprimer leur imagination et leur savoir" dans le langage des affaires. Et l’on disait que le monde ne savait plus commercer en français ?

 

L’UPF-Suisse :
exemplaire "Défense du français"

Jean-Louis Bernier

L’UPF-Suisse, représentée par Jean-Louis Bernier et André Panchaud, a reçu le 21 novembre à Paris le Mot d’Or de la presse écrite pour "la qualité, l’utilité et la richesse" du mensuel Défense du français qu’elle publie à Lausanne depuis 1960. Vaste dictionnaire vivant et évolutif de la langue française usuelle, DF épingle, rectifie et explique mot à mot, les dérives langagières notées au fil de leur apparition dans la presse ou à l’écran. "Break", "fighting spirit", "hot line", "junk food", "obtenable", "workshop", mais aussi "sapeuse-pompière", rien ne leur échappe. Tout peut être remplacé, il aurait suffi de dire pause, esprit combatif ou de compétition, fil rouge ou ligne ouverte, aliment vide ou malbouffe, disponible, atelier et bien sûr sapeur-pompier. Remettre la langue dans le droit chemin en "battant le fer tant qu’il est chaud" est le précieux service rendu par l’UPF-Suisse en six fiches mensuelles détachables et qui peuvent ainsi être classées. Une citation originale chapeaute chaque livraison du bulletin qui affichera en janvier 2003 le numéro 436 !

C’est ce bel entêtement francophone, autant que l’ingéniosité et la pertinence des notices d’André Panchaud qui ont séduit le jury du Mot d’or, ravi de donner en exemple l’acuité du regard de nos confrères suisses sur le langage des affaires aussi.

(La Gazette de la presse francophone - novembre-décembre 2002)

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