À Orléans
DU "MARKETING" A LA MERCATIQUE
Le milieu des affaires, étroitement lié au développement des technologies de pointe, est depuis longtemps envahi par les mots étrangers. L'anglais, le "franglais", sévissent dans les tractations commerciales, les documents professionnels et publicitaires.
Des élèves des classes de techniciens supérieurs (TS) "action commerciale" du lycée Voltaire de la Source (Orléans), ont depuis trois ans décidé de lutter contre ce phénomène de paresse et de régression culturelle. L'emploi désordonné de mots étrangers est en effet d'autant plus pernicieux qu'il ne s'accompagne pas, dans l'esprit de ceux qui les emploient, d'une conscience claire de leur signification. Parler franglais, c'est parler flou et penser faux. Un équivalent français existe ou peut être trouvé : le repérer ou le créer est possible ; le faire adopter est difficile, mais c'est une nécessité pour la vie même de la langue.
L'enseignement de ces classes "TS" porte sur les matières générales, français, langues vivantes, et les enseignements technologiques généraux ou appliqués. Les travaux appliqués (6 heures hebdomadaires) permettent aux jeunes des contacts avec les entreprises, non seulement par des stages mais à travers des prestations de service en grandeur nature. Pour intervenir plus efficacement auprès des milieux professionnels, les élèves, aidés par leurs professeurs, se sont réunis en association à finalité pédagogique intitulée "Initiative des techniciens supérieurs dans l'enseignement commercial" (ITSEC), déjà signalée dans les Cahiers de l'Éducation nationale n° 45 (mai 1986), p. 26. L'ITSEC fédère les compétences des techniciens supérieurs de "Voltaire" et propose leurs services aux entreprises. Elle effectue des études, anime des stands dans les foires et salons, organise des conférences débats, maintient le contact avec les anciens élèves.
Une série d'études et d'actions en faveur du développement du français des affaires est menée depuis trois ans par un petit groupe de ces élèves en liaison avec l'AFPA.
Convaincre
Une première étude, en 1985-86, a cherché à mieux connaître les freins à l'utilisation du français dans les milieux d'affaires. Un questionnaire a été adressé à une quinzaine d'entreprises du département du Loiret, représentatives du tissu industriel local. Huit d'entre elles ont accepté de recevoir les élèves du lycée Voltaire. Elles ont reconnu utiliser les termes étrangers ou "franglais" par facilité. Mais même lorsqu'ils se sont montrés intéressés par l'initiative de l'ITSEC, les responsables d'entreprises n'ont pas cru pouvoir s'engager à soutenir de leurs efforts une promotion du français des affaires. La force des habitudes leur semblait l'emporter.
Il fallait donc agir en amont et à côté : en amont, c'est-à-dire auprès des jeunes, car ce sont eux qui doivent être sensibilisés aux problèmes et formés à de bonnes habitudes de langage à côté par une action en direction des médias, porteurs du meilleur comme du pire, dont le pouvoir d'exemple est redoutable.
En fait, l'action en direction des jeunes a été menée auprès de leurs enseignants. En 1986-87, 49 professeurs appartenant aux lycées d'Orléans, en poste dans les sections B et G, ont été sollicités. Vingt-trois ont répondu. Les élèves de l'ITSEC leur ont communiqué une copie du lexique de l'APFA (éditions Foucher), contenant 700 mots du domaine des affaires, en leur demandant d'en retenir 250 qu'ils jugeaient les plus souvent employés et les plus utiles à leur enseignement. Ce travail a permis d'établir, puis, grâce à la collaboration du CIRP, de publier un petit Lexique du français des affaires.
En 1987-88 le petit groupe d'élèves actif dans ce projet, qui se renouvelle d'année en année, s'est adressé à des périodiques d'information économique et commerciale : le Nouvel économiste, L'Entreprise, L.S.A., etc. Des termes anglais ont été détectés (sans trop de mal on peut le penser) dans leurs colonnes.
L'ITSEC les a signalés aux responsables en leur demandant la justification de cet emploi. En février, trois revues avaient répondu. Depuis septembre 1987, L'Expansion, toujours très attentive à l'emploi de la langue française, a spontanément ouvert une rubrique mercatique pour remplacer l'illégal "marketing".
Faire vite
L'utilisation des termes français n'est pas seulement, en effet, une affaire de goût personnel. C'est aussi une exigence légale. Conformément à un décret de mars 1983, chaque département de l'administration centrale de l'État doit mettre sur pied une commission de terminologie. Ces commissions ont notamment pour mission d'inventorier les lacunes du vocabulaire français par rapport aux besoins des usagers, de "recueillir, de proposer et de réviser les termes et néologismes nécessaires pour désigner les réalités contemporaines".
L'APFA
L'Association pour promouvoir Ie le français des affaires (APFA) est une des associations patronnées par le Commissariat général de la langue française pour faire connaître et adopter les mots nouveaux rendus nécessaires par l'évolution des techniques et des réalités économiques dans le domaine des affaires. Créée en 1984, elle est présidée par Jean-Marcel Lauginie, inspecteur pédagogique régional d'économie et gestion.
L'une des réalisations de l'association a été la création d'un lexique intitulé "700 mots d'aujourd'hui pour les affaires"» publié par les éditions Foucher en 1987. Il tient compte des dernières décisions officielles connues, notamment de l'arrêté du 18 février 1987, publié au JO du 2 avril 1987, fruit des travaux de la commission de terminologie du ministère des Finances et relatif à l'enrichissement du vocabulaire économique et financier. De ce lexique de 700 mots, les élèves de l'ITSEC ont tiré leur lexique de 200 mots à l'usage des enseignants.
"Les mots nouveaux ont besoin de vous, écrit Jean-Marcel Lauginie, de votre enthousiasme, de votre imagination, de votre rigueur."
L'APFA soutient et suit des études ou des actions de promotion du français des affaires comme celle menée par les élèves du lycée Voltaire à La Source, ou d'autres, par exemple au lycée Jean-Moulin, à Saint-Amand Montrond, pour la mise sur un serveur télématique des mots nouveaux de l'économie (télétel 48966091), au lycée Périer à Marseille et au lycée Jean-Moulin à Roubaix pour une étude nationale sur la terminologie économique.
L'APFA est créatrice également des Cours du français des affaires et de toutes récentes Notices d'emploi des mots nouveaux.
APFA : 278, rue de Sandillon, 45590 Saint-Cyr-en-Val. Tél. : 38 76 24 05.
(Les Cahiers de lÉducation nationale n° 64 - avril 1988)Sommaire des articles de presse de 1988
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