ALLOCUTION D'ÉDOUARD MAUNICK, LORS DE LA REMISE DE LA COUPE DU FRANÇAIS DES AFFAIRES :

"MERCI D'AVOIR TRANSFORMÉ EN ORPAILLEURS-CISELEURS LES PARTICIPANTS DE L’ÎLE DE LA FIDÉLITÉ FRANCOPHONE"

Avant toute chose, en tant que citoyen à part entière de ce pays, je tiens à rendre hommage à mon Premier ministre, Chef de l’Exécutif, Sir Aneerood Jugnauth, qui contribue de manière significative à ce qui nous réunit ici, en gardant l’Île Maurice dans l’espace francophone, perpétuant ainsi, une belle et bonne tradition.

L’Association pour promouvoir le français des affaires et l’Inspection pédagogique régionale en économie et gestion du ministère français de la Coopération et du Développement en résidence à Abidjan, en prenant l’initiative d’organiser à l’Île Maurice la version 1990 de la Coupe du français des affaires, concourent à confirmer, s’il en était encore besoin, la place de cette petite terre dans l’immense univers de la francophonie. Petite terre ai-je dit, mais à la démarche d’envergure, tant elle est fertile en désirs de découvrir, en volonté d’entreprendre. Tant elle s’investit dans le fait d’accomplir. C’est que, vous l’auriez deviné, en découvrant elle se découvre elle-même, jusqu’aux plus intimes de ses possibilités de pays pluriel ; c’est qu’en entreprenant, elle irrigue ses propres forces et qu’en accomplissant, elle s’accomplit. Ce qui n’est pas un faible crédit, lorsqu’on refait le difficile chemin de son histoire, depuis la mise à sac de ses primitives forêts d’ébène jusqu’à la verte floraison de ses champs d’aujourd’hui, en passant par les fourches caudines des luttes pour sa liberté d’exister et pour la pleine reconnaissance de la dignité de chacun de ses enfants. Soyez donc remerciés de lui faire la place qui lui revient.

Aucun regard en arrière n’est superflu en pareille occasion et nous devons admettre qu’elle est belle l’occasion. Il s’agit d’une coupe du français des affaires. La chose est d’importance. Mais voilà que vous avez en plus, Messieurs les organisateurs, hissé l’entreprise à hauteur du MOT D’OR. Du coup, vous faites des élèves et des étudiants prenant part au concours, des orpailleurs. Plus que des orpailleurs, des bijoutiers. Vous proposez à leur examen et à leur imagination, une matière à ciseler et à polir sous la forme de mots venus d’ailleurs, à transformer, à remodeler jusqu’à rejoindre, sans licence mais en toute liberté, le trésor déjà volumineux du vocabulaire français.
br> Ces mots, dont la présence, dans le monde effervescent et souvent vertigineux des affaires, est essentielle, pour étrangers qu’ils sont, ne tiennent pas moins leur rôle. Mais il est légitime qu’une langue aussi riche et hospitalière que le français, veuille, en retour, les rendre conformes à ses propres exigences lexicales. Il nous plaît de penser que le faisant, il cherche davantage à enrichir sa panoplie terminologique qu’à vouloir appauvrir celle des autres langues. Car il n’est pas question d’établir ni de prouver la primauté du français sur les autres parlers, mais plutôt d’œuvrer contre une certaine facilité voisine de paresse, qui l’expose à un envahissement préjudiciable à son existence même.

>Et nous, francophones de près ou francophones de loin, avons une part non négligeable à jouer, j’allais préciser, notre MOT à dire, dans l’affaire. Ainsi s’explique pour nous, la tenue de cette compétition dite de la Coupe du français des affaires, au pays de Savinien Mérédac, de Léoville L’Homme, de Rémy Ollier, de Raoul Rivet, de Robert-Edward Hart, de Marcel Cabon, de Jean Érenne, de Pierre Renaud et de Jean-Claude d’Avoine, pour ne citer que quelques grands disparus parmi lesquels nous nous garderons d’oublier Loys Masson, Sir Harilall Vagjhee et Malcom de Chazal, hors de l’Hexagone, dans ce que j’ai défini jadis, en d’autres circonstances, comme un des lieux du francais, là où s’élabore, dans tous les domaines où cette langue assure la création, l’expression, le travail ou la simple communication, un vocable en accord avec les identités fondamentales, mais toujours soucieux de ne pas céder à des laxismes outranciers susceptibles de détruire à la place d’édifier.

Vous comprendrez, par ailleurs, qu’en me choisissant pour présider cette cérémonie de remise de récompenses aux lauréats du présent concours, choisis par un jury compétent, vous m’avez, en même temps que vous honorez mon pays et ma personne, placé dans une situation peu commune. Du poète, de l’écrivain que je suis, vous attendez qu’il saute à pieds joints dans les affaires et, qui plus est, qu’il argumente autour d’un vocabulaire bien loin de celui qu’il emploie et que souvent il forge, pour dire et traduire, pour chanter ou proférer d’autres réalités non moins réelles que la technique et le négoce. Je vous remercie de m’avoir au moins épargné la lourde tâche de faire partie du jury.

J’aurais pu, avec une feinte ou sincère politesse, décliner votre invitation. Mais cela aurait été mentir à mon goût invétéré du risque et à mon insolence non moins tenace. Je veux dire par là, que, en répondant présent à l’appel du Président Lauginie, que je ne connaissais pas auparavant, mais qui est vite devenu un ami en partageant, en plein Paris, un repas indien, avec du poulet tika, du curry d’agneau et d’aubergine, du dahl tarka, du paratha et du riz pullao (impossible de traduire cette succulence), j’ai voulu, moi aussi, entrer dans une arène dont je ne connais que très peu les passes de cape et les passes de muleta, pour en quelque sorte, témoigner, à l’exemple des candidats, de ma passion du français. Je l’ai dit et je le répète, c’est une langue qui me fascine en ce qu’elle est la racine de mon créole natal. C’est dire toutes les permissions qu’elle m’accorde et que je prends avec elle. Si dans les affaires sont nés des mots comme mémoire morte, comme logiciel, comme voyagiste, comme mercatique et j’espère, comme coconage pour équivalent de cocooning, pour ne citer que ceux-là, en poésie, pour dire avec plus d’exactitude ma condition, notre condition de natif d’île, j’ai poussé l’adjectif insulaire jusqu’à celui d’insulé ; pour remettre à l’heure les pendules du temps passé, assumer le présent et garantir l’avenir, je veux déshistorier l’histoire et je continue de réclamer l’inclusion du mot sega dans le dictionnaire, pour ne pas être en reste avec le one-step, le tango et autre mazurka. Il y a davantage, mais il me faut conclure.

Je le ferai en rappelant combien l’Océan indien est redevable au Haut Conseil de la Francophonie, présidé par M. François MITTERRAND lui-même, d’avoir assuré notre présence au sein de cette assemblée pluridisciplinaire, pluriculturelle et plurinationale. Et aujourd’hui, d’avoir prolongé cette reconnaissance à travers le déroulement de la Coupe du français des affaires à l’Île Maurice. Comme je l’ai déjà confié, publiquement, à un précédent Ministre français de la Coopération, un jour, au Plazza de Rose-Hill, nous aussi, petits peuples, avons beaucoup à donner. Nous sommes sensibles au fait, qu’à travers ses différentes instances, vous acceptiez de recevoir ce que nous vous offrons.

Vive l’échange entre la France et la Francophonie et qu’il soit propice à cette convivialité sans laquelle la Terre est moins habitable et à laquelle nous travaillons tous chacun à sa manière, en partageant la même langue.

(L'Express de l'Île Maurice du 3 mars 1990)

Sommaire des articles de presse de 1990
Sommaire de la revue de presse
Sommaire du Mot d'Or
Sommaire général