LA COUPE DU FRANÇAIS DES AFFAIRES

PRÉSENTATION

Bouter l'anglais hors des frontières est devenu l'une des spécialités de l'Orléanais : c'est pourquoi, cinq siècles et demi plus tard, une poignée d'irréductibles ont repris le flambeau. Créée en 1988 dans l'académie d'Orléans-Tours "pour faire connaître et faire aimer les mots d'aujourd'hui de l'économie et de la gestion" et pour "développer une pédagogie du mot nouveau", la "Coupe du français des affaires" est devenue une manifestation de grande envergure. Le vendredi 2 mars, elle réunira quelque 35 000 candidats (11 000 en 1969) dans douze académies et six pays étrangers et DOM-TOM : Côte-d'Ivoire, Île Maurice, Sénégal, Nouvelle-Calédonie, Guyane française et Polynésie. Notre région, pionnière en la matière, ne sera bien sûr pas en reste : on compte 2 727 inscrits (2 404 l'an dernier) répartis dans 110 divisions et 29 lycées. Ces épreuves concernent tous les élèves et les étudiants en économie et gestion de première, terminale, section de technicien supérieur, classe préparatoire technologique... Elles consistent à rédiger des textes économiques et publicitaires dans la langue de Séguéla et à traquer le franglais pour le remplacer par un équivalent bien de chez nous. Épreuve redoutable qui donne du fil à retordre aux linguistes les plus chevronnés. L'objectif n'est pas tant de transformer nos futurs économistes en traducteurs professionnels que de les rendre sensibles à leur langue maternelle, "condition de la compréhension d'autres langues… pour que les mercaticiennes et les mercaticiens puissent être toujours plus à l'écoute des autres". "La Coupe du français des affaires, de la terminologie et de l'orthographe est organisée par l'Association pour promouvoir le français des affaires (APFA) animée par l’inspecteur pédagogique régional Jean-Marcel Lauginie.

Elle a son siège à Saint-Cyr-en-Val, prés d'Orléans. Et cette action est appuyée par le CIRP, Centre d'information des relais d’opinion et de la presse du ministère de l'Économie et des Finances, dont le chef est Gilbert Moreux. Après la séance de "brainstorming" de vendredi, les 4.000 lauréats recevront leurs coupes courant mai. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres car, d’ici là, il faudra réussir à tordre le cou à tous ces mots au goût de chewing-gum : boycott, business, cash, marketing, dispatching, fast-food, listing, planning, shopping, sponsor, zapping... Ceux qui voient dans ces joutes verbales un combat d'arrière-garde mené par quelques nostalgiques du beau parler français ont tort. La défense et illustration de notre langue est une arme de poids dans la guerre économique que se livrent les grandes puissances. Et le français pourrait être notre botte secrète.

Roland SPENLÉ.

QUESTIONS À GILBERT MOREUX, COORGANISATEUR DE LA COUPE DU FRANÇAIS DES AFFAIRES.

(Gilbert Moreux est chef du Centre d'information des relais d'opinion et de la presse du ministère de l'Économie)

"La République du Centre". — Vous êtes coorganisateur de la Coupe du français des affaires. En quoi consiste votre association avec l'Éducation nationale ?

Gilbert Moreux. — D'un côte, l'Éducation nationale s'ouvre au monde de l'économie et, de l'autre, les services du ministère des Finances entendent coopérer pour développer la culture économique et financière à tous les niveaux du cursus scolaire. Dans cette optique, le ministère a mis sur pied, en novembre 1985, une commission de terminologie économique et financière et en région Centre nous n'avons pas tardé à lancer des opérations conjointes.

R.C. — Dans le primaire également ?

G.M. — Tout à fait. Nous avons conçu une mallette pédagogique intitulée "Marianne fait ses comptes" et destinée aux CM1-CM2. Ce dossier constitué de 75 fiches-élèves illustrées permet aux enfants de se familiariser avec le budget de l'État. Pour l'année scolaire en cours, nous avons déjà reçu 1 160 commandes dans I'académie.

R.C. — Quels types d'actions menez-vous dons le secondaire ?

G.M. — Pour les professeurs de collège enseignant l'éducation civique, nous avons réalisé une valise pédagogique, "Si le budget m'était compté", traitant, suivant les niveaux, du budget de la commune, du ménage, des collectivités territoriales, de I'Europe, etc. Au niveau des lycées, nous raisonnons davantage en termes de partenariat. Il nous arrive de commander des travaux à des classes, Par exemple, des élèves du lycée Voltaire à Orléans ont étudié l'impact commercial de la Place d'Arc. Une classe du lycée Marceau à Chartres est en train de concevoir des logiciels didactiques pour la trésorerie générale d'Eure-et-Loir. Nous avons également signé des conventions avec Benjamin-Franklin et Saint-Paul à Orléans et avec le collège Montjoie à Soran. Au niveau de l'enseignement supérieur enfin, nous proposons des bourses à des étudiants qui mènent des recherches, à Tours comme à Orléans, pour nos services et nous leur proposons des stages.

RC. — Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la Coupe du françals des affaires ?

G.M. — Étant pour le développement de la culture économique dés l'école élementaire, nous sommes très sensibles aux questions de langage et nous avons remarqué que, chaque année, cinquante mots nouveaux, presque toujours anglo-saxons, entrent dans le lexique. Si on ne les traduit pas tout de suite, ils deviennent hermétiques et on en perd le sens exact. Cela nous a décidé à mener des actions dans ce domaine, avec les instances chargées de ces problèmes de langue. C'est ainsi qu'est né, avec notre appui, le premier "Lexique du français des affaires", rédigé en 1987 par les techniciens supérieurs de I'environnement commercial du lycée Voltaire. C'est la première mouture de la brochure "700 mots d'aujourd'hui pour les affaires" réalisée par l'APFA et éditée chez Foucher.

(Propos recueillis par Roland SPENLÉ).

BILLET : GAG

Free lance dans un news régional, mon job est de traquer le scoop si je veux élever mon standing. Avec le boss, on se briefe une fois par semaine, autour du week-end, en général dans un fast-food, pour fixer le listing des interviews qui auraient le meilleur feed-back. En véritable business man, il ne s’accorde qu’un break d’une demi-heure et encore, il ne songe même pas à retirer son walkman made in Hong Kong et acheté en leasing.

Le timing est d'enfer. Il ne cesse de zapper. C'est d'ailleurs flippant d'avoir le Dow Jones en voix off pendant que le ketchup dégouline sur les genoux. Bonjour le look. Et le boss qui est déjà parti retrouver son staff. I am a lonesome scoop-boy.

R.S.

"LE FRANÇAIS N’EST PAS RINGARD" AFFIRMENT LES ÉLÈVES DU LYCÉE VOLTAIRE À ORLÉANS. EXPLICATION DE TEXTE.

Quinze classes du lycée Voltaire à la Source-Orléans participeront vendredi à la Coupe du français des affaires. Parmi les plus motivés, les dix-neuf étudiants de la classe prépa à HEC technologique.

Pour Marlène Albolodejo, "l’emploi systématique du français dans le domaine économique relève de la langue soutenue, mais ce n’est pas ringard." Étudiante en classe prépa à H.E.C. Techno, cette ancienne élève du lycée Jacques-Cœur à Bourges est presque une militante de notre langue, ayant été lauréate à titre individuel de la coupe 1989 comme sa condisciple Sylvie Villemont, du lycée Balzac de Tours.

Toutes les deux se retrouvent, avec dix-sept autres bacheliers G, dans cette classe préparatoire aux grandes écoles de commerce qui entame sa première année d'existence. Il en existe quatorze en France, et celle de Voltaire est la seule de toute l'académie. La sensibilité aux questions de langage économique y est bien sur à vif, d'autant plus que le professeur d’économie et de gestion de cette section n'est autre que Marc Rivière, un des pères fondateurs de la coupe avec Jean-Marcel Lauginie.

Tous les deux sont d’ailleurs à l'origine de la réforme du B.T.S. en 1973. Ils se sont battus dès cette époque pour la création du BTS "action commerciale" et pour I'adoption et la remise à jour régulière du lexique français. Les élèves actuels de Marc Rivière sont "surpris au départ lorsqu’on leur demande de choisir des vocabIes français alors qu’ils emploient les néologismes anglo-saxons, mais ils s’habituent très vite", selon le professeur. "Il ne s’agit pas de faire du nationalisme mal placé", explique ce polyglotte convaincu, "ni de rejeter les langues étrangères, mais de s’attacher au vrai sens des mots et le meilleur moyen est encore de rester dans sa langue".

Mac Rivière ajoute que cette stratégie gagne du terrain car le ministère de I'Économie publie régulièrement au Journal officiel des listes de mots français qui "doivent être obligatoirement utilisés" dans la prose administrative, et des revues comme "l’Expansion" et "Sciences et Vie-Économie" francisent à tour de bras.

Toutefois, les élèves de prépa et leurs camarades des terminales G observent encore des blocages à ce niveau-là dans les entreprises visitées. C’est pourquoi une équipe d’élèves de B.T.S. "action commerciale" a mis sur pied une cellule chargée de promouvoir la français des affaires à travers la presse et les revues spécialisées. À la langue de Keynes, ils préfèrent celle de Voltaire.

R.S.

DREUX : LYCÉENS EN AFFAIRES

Vendredi, ils essaieront de rafler quelques prix.

Au lycée Rotrou de Dreux, des expressions anglaises à (ré)apprendre en français. Composite package = emballage ; cash flow = capacité d'autofinancement. Pas toujours évident pour les terminales G3 qui concourront vendredi.

Ne dites pas "cash-flow" mais "capacité d'autofinancement". Plus question de "faire un break", car c'est de "pause" qu'il faut parler.

Dans le milieu des affaires, le français s'est laissé envahir par des expressions anglaises. "En utilisant les termes français dès les classes de première, nous espérons que les lycéens les retiendront et les emploieront quand Ils entreront dans le monde du travail", explique Sylvette Bréant, professeur au lycée Rotrou de Dreux.

Enseignant le droit, l'économie et le commerce, elle a inscrit les trois classes de terminale G3 (gestion et commerce) et la classe de première G à la Coupe du français des affaires.

Une nouvelle section créée à Dreux à la rentrée dernière, l'année de préparation au diplôme d'études comptables et financières (D.P.E.C.F.), aurait dû tout naturellement concourir. Hélas, le volumineux travail que ces étudiants issus de terminale G2 (comptabilité) ont à fournir en un an pour obtenir les sept unités de valeur (droit, économie, comptabilité, mathématiques, informatique, français, anglais), nécessaires à l'entrée au cycle supérieur, les a exclus d'office.

Une chance que certains élèves de terminale G3 auraient bien aimé avoir. Pour eux, cette épreuve constitue un exercice supplémentaire qui oblige à apprendre plusieurs centaines de mots et expressions. L’excellent lexique réalisé par l'association "Actions pour promouvoir le français des affaires" (A.P.F.A.) en répertorie sept cents.

"Lorsque nous allons en stage, les responsables des entreprises se montrent sceptiques car ils ne voient pas l'utilité d’utiliser les mots français. Et ils continuent à dire marketing ou lieu de mercatique"
, constate encore Sylvette Bréant qui ne renonce pas pour autant à sa tâche pédagogique. Il faut laisser le temps au temps pour que la nouvelle génération s’approprie les mots.

Vendredi, les lycéens drouais monteront au "dortoir" (une salle de l'internat aménagée en lieu d’examen) pour plancher sur des textes à traduire en bon français des affaires. Ils tenteront de rafler quelques prix en sachant qu’ils ont fort à faire, la concurrence étant vive !

Françoise GUIGNARD.

BOUTER L’ANGLO-SAXON HORS DE NOTRE LANGUE

Au lycée chartrain Jehan-de-Beauce, des mots au quotidien de l’économie.


"Ce n'est pas seulement être attaché à la langue française et à son enrichissement que de défendre le vocabulaire français, c'est aussi contribuer à la vulgarisation des connaissances", estime M. Bernard Blondeau, enseignant d'économie et gestion au lycée chartrain Jehan-de-Beauce.

"Les jeunes qui ne sont pas encore dans le milieu du travail utilisent volontiers un vocabulaire français. lls conviennent que les termes anglais sont utilisés parfois par snobisme et parce que cela fait bien de protéger sa spécialité par un langage réservé aux initiés", convient M. Blondeau.

Plus le dialogue avance, plus émerge chez l'enseignant le désir profond d'élargir le champ de la transmission des connaissances, de "vulgariser" un savoir dans un domaine qui, chaque jour un peu plus, marque son importance dans la vie quotidienne.

"Dans leur vie professionnelle, nos élèves seront amenés à dialoguer, à expliquer l'économie ou la gestion à des collaborateurs ou collègues. J’espère qu’ils en parleront en spécialistes mais en termes accessibles à des non-initiés. Ce concours est une occasion d’approfondir leur réflexion sur le langage..."
ajoute M. Blondeau qui chasse quotidiennement la terminologie anglo-saxonne de ses cours dès lors qu'il existe une correspondance française, sans pour autant mésestimer la beauté d'une langue... qu'enseigne son épouse.

Le 2 mars, avec quatre autres enseignants d'économie et de gestion de Jehan-de-Beauce et la collaboration de profs de français (pour l'appréciation des corrections), M. Blondeau veillera au bon déroulement d’une épreuve qui, d’une année sur l'autre, a vu tout simplement doubler la participation des élèves. De 14 à 15 heures, ils seront plus de 120 à plancher sur la terminologie du langage technique. L'an dernier, ils étaient cinq à heure des récompenses.

Combien seront-ils à glaner les lauriers régionaux ? "L’important n’est pas le résultat mais l’effort volontaire fourni par les élèves", dévie M. Blondeau en convenant que semblable concours ne paraît pas exister dans d'autres disciplines scolaires.

PREMIERS LAURÉATS

1988 : une classe du lycée Jean-Moulin à Saint-Amand-Montrond.

1989 : une classe du lycée Bernard-Palissy à Gien.

(La République du Centre du mercredi 28 février 1990)

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