BERNARD CERQUIGLINI : "L’EUROPE NE SE FERA PAS PAR L’UNIFICATION LINGUISTIQUE"

Moderniser le français pour en faire une véritable langue d’affaires, comme l’anglais. C’est de ce défi que nous a parlé M. Cerquiglini dans le cadre de la remise de la coupe francophone des Affaires.

Qu’est-ce que promouvoir le français, celui des affaires ?

C’est l’aider à énoncer le monde contemporain. Le français permet d’énoncer tout ce qui relève de la diplomatie, des systèmes de valeur, de la politique... Mais certains pensent que les sciences, la technologie, le commerce requièrent une autre langue, l’anglais qui serait mieux adapté. Et rien n’est plus erroné. Cependant il faut équiper la langue française, la doter des mots qui lui manquent, trouver des définitions précises.

La langue des affaires, c’est une langue du contrat, de la vente, de l’achat... Il faut qu’elle soit sûre. Il ne s’agit pas de créer des mots mais de bien les définir, c’est un travail de clarté déjà fait.

Au seizième siècle, il y a eu le français philosophique, au vingtième siècle, il y a le français technologique, commercial…

Le succès de l'anglais ne résulte-t-il pas de l'hégémonie technologique et économique des pays anglo-saxons ?

Bien sûr que la langue n'est pas isolée de la société et de l'économie. lI est certain que les USA ont un rôle d’avant-garde, dans la percée technologique, ainsi que le Japon, et les pays d’Asie du Sud-Est. Il ne s’agit pas seulement de réagir par la langue, mais aussi par l’économie. À ce titre je citerai deux exemples.

D’abord, pour ce qui concerne la construction européenne, l’Europe ne se fera pas par l’unification linguistique, mais par le plurilinguisme. Car la force économique de l'Europe est associée aux grandes langues européennes à développer.

Ensuite, pour le cas de la Francophonie, iI s'agit selon l’axe fondamental de l’entraide Nord-Sud de développer ensemble nos valeurs et nos modèles francophones. pour me résumer, développer une puissance économique, qu'elle soit européenne ou de tendance Nord-Sud, ne passe pas par l'unification linguistique.

Propos recueillis par Cheikh Thiam.

(Le Soleil, Dakar, mardi 12 mai 1992)

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