Exposé de M. Jacques Campet
Président de la Commission ministérielle de terminologie économique et financière
LE DERNIER ARRÊTÉ DE TERMINOLOGIE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
Eh bien, Monsieur le Président, je ne m'attendais pas â cet accueil mais sérénité est un mot qui me va très bien, même si parfois je suis passionné. On va essayer de garder cela en tête en vous parlant aujourd’hui, Madame le Délégué général, Monsieur le Directeur, Mesdames et Messieurs, de la terminologie économique et financière. Je préside une Commission qui remonte à 1985 mais qui vient d'être renouvelée par un arrêté du 17 mai 1994, et qui est placée dorénavant non seulement auprès du Ministre de l'Économie et du Ministre du Budget comme avant, mais aussi auprès du Ministre des Entreprises et du développement économique chargé des petites et moyennes entreprises et du Commerce et de l’Artisanat. C'est long mais c'est très important pour nous parce que ça veut dire que la direction du Commerce intérieur qui participe de manière très importante au groupe des techniques commerciales présidé par Jean Marcel Laugime, et qui travaillait de manière souterraine, travaille maintenant officiellement au sein de cette commission. Je saluerai simplement l'arrivée dans cette Commission de Jean-Pierre Colignon, du Monde, dont vous connaissez tous les petits billets hebdomadaires pleins d'alacrité et d'esprit, et je le remercie vivement de ce qu'il fait dans son journal parce que c'est pour moi, si vous voulez, chaque semaine, un petit moment de grâce et de joie. Je voudrais remercier les membres de droit de la Commission qui sont les directeurs de cette maison, et plus particulièrement la direction de la Communication avec le directeur Gérard Moulin, et notre secrétaire général Guy Ramirez qui est chef du bureau des Notes Bleues et des publications, il a succédé à Joël Léauté avec qui j'aurai le plaisir de travailler dorénavant à la Cour des Comptes.
La deuxième actualité, c'est la parution au Journal Officiel de l’arrêté du 7juillet 1994, qui a subi une assez longue maturation avant sa sortie. Près d'un an, je crois. Oui, puisque nous avions fait un déjeuner avec les journalistes au cours de l'été 93, et il est sorti l'été 94. Cela mérite un peu d’explications. C'est que nous avons eu pour la première fois une confrontation, enfin des explications assez longues, mais finalement fructueuses, avec l'Académie Française. J’ai toujours voulu que l'Académie Française nous donne son avis sur nos arrêtés, et j'ai toujours suivi les avis de l'Académie Française. Cette fois-ci, dans un contexte un peu plus difficile, il y a eu quelques anicroches et quelques difficultés mais que nous avons résolues ; ce contact a été finalement plus fructueux qu’il n’a été nocif sur le plan du délai, et j'espère que cela continuera.
Et je voudrais, à l’occasion de ces deux événements, le renouvellement de cette commission et la parution du septième arrêté, puisque c’est notre septième arrêté, je voudrais vous dire que le travail que nous faisons n'est pas un travail de police, ce n'est pas un travail de défense frileuse. Je suis très énervé quand on nous dit que nous sommes des gens du passé, c’est au contraire un travail d’accompagnement à l'évolution du langage, à la création de nouveaux termes exigée par l’évolution du contexte économique et financier qui n'est pas le même bien entendu qu’au 18ème ou l9ème siècle, et ces termes on doit les assortir d'une définition précise pour permettre à chacun de savoir de quoi il parle exactement. Plus que tout autre en effet, l'économiste et le financier doivent se défaire, lorsqu'ils s’expriment en français, du franglais dont l’emploi par snobisme, par réflexe d'ésotérisme parfois, ou même par simple paresse, empêche l'effort de réflexion qui accompagne une traduction ou une recherche d’équivalence. C'est un effort qu’il faut faire, et donc ne pas se laisser aller à vouloir faire un petit peu "le savant" lorsque l'on parle de ces questions-là. C’est ainsi que dans le domaine de la théorie économique, prolifère en ce moment pour des raisons hélas que l’on connaît de crise de l'emploi, nombre d’expressions relatives au marché du travail comme celles qui opposent "insider" à "outsider", "inplacement" à "outplacement", comme si les intéressés n’étaient pas dignes de comprendre qu’ils peuvent être des travailleurs installés ou en marge, et que leur entreprise peut leur offrir un replacement interne ou un replacement externe. Je ne vois pas ce que l'anglais ajoute avec "l’inplacement" et "l'outplacement". Des mots même s’installent dans notre vocabulaire technique dont on ne sait même plus qu’ils sont de simples sigles de locutions américaines. Nous précisons dans l'arrêté de juillet 1994 qu’un "incoterm" n’est pas un terme de commerce international, mais l’abréviation "d'international commercial term", c’est-à-dire de "condition Internationale de Vente", de CIV, et nous donnerons dans le prochain arrêté la liste en français, avec les sigles français, de la dizaine de locutions qui s'insèrent dans ce cadre général.
Ce ne sont pas seulement, cependant, les seules listes d'équivalents français avec une définition précise de termes nouveaux qui permettront à la langue des affaires d'évoluer en français si dans le même temps, on éprouve une satisfaction à installer des rubriques en anglais un peu partout. Par exemple, la récente rubrique "business tendances" à la télévision. C’est ça le grand danger, c’est que "business" est un vieux mot, on ne va pas se donner le ridicule de traduire "business", "business" ça peut être plaisant, mais "business tendances" ne sont pas les tendances du "business". On fabrique des locutions avec des mots anglais et des mots français, mais avec l’esprit de l’anglais. Il est vrai que le grand et le petit Larousse, le grand et petit Robert aussi, non seulement consacrent "business" mais ils y ajoutent depuis plusieurs années "businessman" et "businesswoman" en précisant qu’on a le choix pour le pluriel entre "businessmen" ou "businessmans" et entre "businesswomen" ou "businesswomans". Je pourrais peut-être suggérer de parler d’hommes ou de femmes d’affaires, mais effectivement c’est peut-être moins noble que des "businesswomans". On pourrait sourire de cette affaire de "business" si dans le même temps ne s’installait toute une gamme de "business game", de "business plan", de "business to business", et dont le dernier avatar "charity business" fait maintenant fureur. Là réside sans doute la principale source de nos difficultés.
Comme je le disais tout à l’heure, on ne va pas effectivement vouloir dans un arrêté de terminologie traduire "business", on aurait une volée de bois vert. Il nous faut donc contourner l’obstacle en essayant au moins d'arrêter la prolifération de cette famille malheureuse, et c’est ainsi que dans le dernier arrêté à "business to business" on oppose interentreprise, et que nous traiterons dans le prochain arrêté sous une rubrique "économie caritative", des "charity business" et autre "promotion charity". Voilà si vous voulez le danger qui nous guette ce n’est pas le mot "business", c’est la famille qui vient derrière, et c'est la fabrication de mots qui n'ont plus rien à voir avec le génie de la langue française. Alors un petit mot enfin pour terminer sur notre huitième projet d'arrêté ; je vous annonce qu'il est déjà bien avancé, compte tenu du retard pris par le précédent, et que nous avons déjà une quarantaine de termes sur lesquels la Commission s'est mise d'accord. Onze termes ont été définitivement adoptés par la commission dans le secteur bancaire, dont un qui fait la part des choses puisque nous allons officialiser la , qui est un terme défini avec précision, avec les meilleurs spécialistes de la direction du Trésor et de l'Association française des Banques. Dans le groupe des techniques commerciales, présidé par Jean Marcel Lauginie et la Direction du Commerce intérieur, il y a un savoureux enfouissement pour un "burrowing" que l'on voit partout et auquel il faudrait effectivement mettre fin le plus rapidement possible. Et nous avons enfin quatre termes de la théorie économique, avec un excellent replongée pour "double deep recession", un seul mot pour trois, on dit parfois que le français est plus long que l'anglais ! J'ajoute aussi que nous sommes obligés de traduire "turn over" devant sa prolifération, nous avons rotation qui me semble tout à fait aussi normal et aussi bien venu que le "turn over".
Ce huitième arrêté se met donc en place ; nous allons faire un groupe de travail avec l’Association Professionnelle des Banques, la Commission des Opérations de Bourse et les agents des marchés interbancaires, pour définir de manière précise tous les métiers de la Bourse, de la banque et du domaine des marchés inter-bancaires, le "dealer", le "broker" ou encore le "trader".
Voilà Mesdames et Messieurs tout ce que je voulais vous dire ; Madame le Délégué général, je crois que nous faisons un travail indispensable avec le concours des meilleurs spécialistes, des professionnels de la finance et de l’économie.Retour au sommaire des actes des 6ème et 7ème journées
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