Débat avec la salle portant sur le reproche de suivisme français de l'anglais
Une question de la salle
Le travail des commissions de terminologie donne l'impression d'un suivisme français de l'anglais. La creation de termes nouvaux et originaux, comme mercatique, n'est-elle pas trop rare ?
Réponse de Jean Marcel LAUGINIE
Merci beaucoup pour cette question. On va demander à Loïc Depecker de vous répondre. Auparavant, je voulais dire simplement que c'est gentil d'avoir parlé de mercatique, car ce terme nous tient â cœur. Il y a de nombreux mercaticiennes et mercaticiens dans la salle, et ils sont de plus en plus nombreux d'ailleurs dans le pays ; mercatique vient bien sûr de mercatus, le marché.
Réponse de Loïc DEPECKER
Oui. C'est une question qui est très vaste et à laquelle il est difficile de répondre en quelques instants. Le suivisme français de l'anglais, comme j'ai essayé de l'expliquer, ce n'est pas forcément un suivisme aveugle. Ce que l'on essaye de faire le plus possible, c’est d'inscrire les mots français techniques que l’on adapte, de les inscrire dans le fil de la langue. Lorsqu'on étudie par exemple un terme comme container, qui est un terme simple que je prendrai comme exemple, et bien, dans le terme container, c'est évident qu'on a là la racine du français, qui est la racine de contenir, racine de mots très connus des personnes, et lorsque l’on fait de container un conteneur, je ne vois pas quel suivisme on pourrait nous reprocher dans ce cas-là, parce qu'il faut bien voir que dans adapter ou créer, qui est le sujet de cette table ronde, il faut faire en sorte que les gens comprennent les mots que l'on met sur le marché, en ce sens que si l'on invente des termes qui sont trop complexes ou qui relèvent d'un jeu d’esprit trop complexe, les personnes ne vont pas suivre. Et ce que l'on essaye de faire, et moi je me bats pour cela, c’est d'essayer d'inscrire comme vous l'indiquez, comme vous nous y invitez, le français dans une approche épistémologique. C'est-à-dire essayer de créer des termes techniques qui soient d'une part compréhensibles du public, qui le soient pour tout le monde, mais aussi des termes techniques qui permettent de penser. Et lorsque je parlais tout à l'heure de tableur, grapheur, et dessineur, moi ça me semble aller dans les deux sens. D'une part dans le sens du fait que les gens comprennent bien les termes, et d'autre part dans celui que l'on construise la langue à travers ces termes-là. Et ça, ça me paraît tout à fait fondamental. Et on la retrouve aussi, cette tendance à conceptualiser à travers les termes finalement, on retrouve cette tendance-là dans un certain nombre de techniques et de sciences aujourd’hui. Par exemple, en biologie, c’est assez net actuellement de voir comment les chercheurs essayent de trouver des termes qui les fassent penser. C’est donc un très large débat que l’on pourrait reprendre, mais qui est effectivement extrêmement passionnant, et moi je dirai : si l'on aménage une langue, ce n'est pas pour la couper de ses racines, aussi bien historiques et anciennes, ou pour la couper de ses racines intellectuelles. Si l'on aménage une langue, c'est justement pour que cette langue permette de penser plus et de penser mieux à l’avenir.
Une question de la salle
Pour quelle raison l'APFA n’était-elle pas présente au récent Forum francophone des affaires qui se tenait à l'Île Maurice ?
Réponse de Jean Marcel LAUGINIE
Oui. Merci beaucoup pour cette question. C’est une question, au fond, très agréable puisque cela veut dire qu'il y a, et on le sait d'ailleurs, beaucoup d'organismes, beaucoup d'institutions, beaucoup d'associations, qui chacune avec leur tempérament, avec leurs habitudes, avec leur savoir-faire propre, évoluent dans des domaines au fond, vous le soulignez, qui sont de plus en plus convergents. Et ça c’est très agréable. Ce que je veux simplement dire, c’est qu'à l'APFA il y a peut-être une ambiguïté simplement dans l’appellation de la deuxième partie de l’après-midi, où nous avons une coupe francophone du français des affaires, et une coupe du français des affaires ; par souci de simplification pour les pays francophones, nous l'avons appelée coupe francophone des affaires. Et il est possible qu'il y ait une ambiguïté qui s’installe avec le Forum francophone des affaires. Cela n'a rien à voir, je le précise bien. L'association que je préside a uniquement un rôle terminologique. C’est une association dont le but, je ne l'ai pas présenté suffisamment tout à l'heure, est de faire connaître et de faire apprécier les mots nouveaux et de maîtriser les concepts des affaires dans chaque langue maternelle. Voilà notre travail, notre vocation. Nous ne voulons pas aller au-delà, mais nous pensons qu’avec ce travail sur les mots, sur les termes, dans les entreprises on fera de meilleures affaires parce qu’on communiquera mieux. Je crois que le rôle des associations, c'est de savoir limiter leur domaine, leur champ pour être plus efficaces, et non pas d'avoir des domaines extensibles qu'on ne maîtrise plus. Mais je suis prêt à engager un dialogue enrichissant avec votre association dans la mesure où le temps nous le permettra. Nous sommes une structure plus que légère ; nous avons tous d'autres activités, car je pense qu'une association pour être vraie doit être une association basée sur le bénévolat, autrement je considère que ce ne sont pas tout à fait des associations.
Réponse de Jacques CAMPET
Je veux bien intervenir sur ce point, parce que, Monsieur, vous savez, il y a des gens qui travaillent dans l'ombre, comme Jean Marcel Lauginie dont c’est aujourd’hui peut-être le seul jour de gloire de l’année, tout le reste du temps il a son métier tout en travaillant dans notre commission. Nous travaillons dans l'ombre et nous ne sommes pas pour autant promus à aller à l’Île Maurice au Forum francophone des affaires.
Je voulais aussi profiter de cette occasion pour dire à Bernard Cerquiglini, qui s'en va, que je regrette beaucoup son départ, il nous a toujours beaucoup aidés. J'ai trouvé beaucoup de chaleur et de compréhension dans les relations avec la Délégation générale, et donc je voulais le remercier vivement. Je remercie aussi Gérard Moulin qui nous accueille aujourd’hui et Joël Léauté qui travaille dans sa direction, notre Secrétaire général.
Je voudrais simplement dire à M. Pierre Aronéanu, qui m’a beaucoup intéressé avec les "cauris", que s'il veut voir à Paris beaucoup des cauris, il peut aller au Musée de la Monnaie, nous avons une collection importante. II y a un livre qui fait partie du répertoire des collections monétaires qui est entièrement consacré aux cauris, et que j’avais édité lorsque j'étais directeur de la Monnaie.
Après toutes ces interventions plus brillantes les unes que les autres, je retombe au ras des pâquerettes. Comme je le disais tout à l’heure, nous travaillons dans l’ombre, mais nous travaillons tout de même beaucoup : nous avons sorti 300 mots environ qui sont maintenant dans le dictionnaire officiel. Nous avons sorti un sixième arrêté en février 1993, qui a été publié au J.O. du 28 février 93, et qui est très détaillé dans la Note Bleue dont on a parlé tout à l’heure. Cet arrêté comportait 46 mots nouveaux, et nous sommes maintenant dans la phase de création pour le septième arrêté. Une phase de création qui s’est d’ailleurs terminée en juillet, puisqu’en juin nous avons exposé aux journalistes économiques et financiers ce qu’il y avait dans notre projet d’arrêté, qui comporte 37 mots, tous très bien accueillis.
Mais malheureusement il y a une très longue procédure ensuite, dont la Délégation française n’est pas responsable, puisqu'il nous faut envoyer ces termes-là à tous nos correspondants francophones, et à l'Académie Française. Et nous avons cette année un petit problème avec l'Académie Française sur un ou deux mots que nous allons régler et qui va nous permettre de sortir cet arrêté, nous l'espérons, avant la fin de l’année. Il est intéressant, ce septième arrêté parce qu’il est assez harmonieux en ce qui concerne les domaines. Parfois il y a trop de finances, banque, marché, ou parfois trop de techniques commerciales. Nous avons trois domaines à peu près à parité. Nous avons 13 termes pour finances-banque-marchés, et 14 termes pour les techniques commerciales, et surtout nous sommes très contents d’avoir 10 termes dans la matière économie, 6 en économie pure et 4 en économie sociale. Nous avons un certain nombre de mots imagés, comme l'obligation pourrie pour le "junk bond", mais malheureusement nous allons devoir le mettre en deuxième entrée, parce que l’on nous fait remarquer que l'on ne pourra pas parler d’obligation pourrie dans les textes officiels, donc pour le "junk bond", nous aurons l'obligation à haut risque. Nous avons la gestion de risque pour le "risk management", l'action éclair pour le "hit and run", et un certain nombre de mots que nous pourrons vous indiquer au passage. En techniques commerciales, il y a un petit mot, pour lequel j'aimerais bien avoir votre opinion. C’est le planificateur média, et les Canadiens préfèreraient, ou certains de nos interlocuteurs, un média planiste. Alors si vous pouvez à la sortie nous dire quelle est votre préférence entre planificateur média et média pianiste, vous nous aurez aidés dans la rédaction de notre arrêté.
Après cette mise à jour de nos travaux terminologiques, je voudrais tout de même vous dire aujourd'hui que je suis un peu préoccupé en tant que président de cette commission, sur deux sortes d’événements.
D’abord je trouve qu'il y a une recrudescence de recours à des mots français qui sont des équivalents phonétiques de mots anglais, mais qui sont employés dans une acception complètement différente.
J’ai déjà abondamment cité la réhabilitation qui s’emploie soit pour une restauration, une rénovation, une remise en état, une simple réparation.
Nous avons maintenant la technologie, tout est technologie au lieu d’être technique : nous avons les technologies de l’audiovisuel au lieu des techniques de l’audiovisuel, parce que l'on oublie que la technologie c'est la science des techniques et non pas la technique elle-même.
Nous avons aussi valorisation pour évaluation, et M. Jean Saint-Geours, le Président de la COB, s’en est ému et à juste raison ; nous voyons apparaître maintenant même au sein de ce ministère le marché "domestique". On lance des obligations sur le marché "domestique", alors que l’on avait évité il y a quelques années les lignes "domestiques" en matière aérienne, par rapport aux lignes intérieures. Et donc je serais reconnaissant à la direction du Trésor si elle voulait bien parler de marché national ou de marché intérieur, au lieu de marché "domestique".
On a tout à l’heure parlé du GATT, je crois que je n’ai jamais eu beaucoup de foi dans le terme d’AGETAC que nous avions inventé avec Patrice Cahart. D’ailleurs il était simplement facultatif et pas obligatoire, mais par contre on peut voir avec surprise que la presse parle de plus en plus du cycle de l’Uruguay, et non pas de l'Uruguay "round", ce qui tend à prouver que parfois le bon sens reprend ses droits.
Je voulais donc vous parler de cette première préoccupation. La deuxième, c’est qu’il semble que même dans cette maison, on refait de nouveau un sort à certains mots anglais ou à certaines expressions anglaises, alors que nous avons l’équivalent. J’ai lu avec étonnement, dans les journaux ces jours-ci à propos des opérations de privatisation, comme on avait parlé des missions "domestiques", de "building book", qui est en réalité un carnet d’ordres, et là aussi je voudrais, pendant qu'il est temps, demander à la direction du Trésor si on ne pourrait pas introduire rapidement le carnet d’ordres. Voilà pour mes deux préoccupations actuelles.
Sur les projets, nous allons lancer la préparation d’un huitième arrêté, avec un certain nombre de mots. M. Lauginie, qui nous approvisionne, doit déjà en avoir au moins une vingtaine en attente, et je voudrais annoncer ici la création d’un groupe de travail ad hoc parce que je suis préoccupé d’une carence. Nous avions annoncé il y a deux ans, dans une note de terminologie, que nous allions attaquer les mots concernant le marché de la finance, et notamment le "dealer" ou le "trader" ; or, nous n’avons toujours pas sorti des termes français. Pourquoi ? Parce qu’on s'aperçoit qu’il y a maintenant des termes très différents dans tous ces métiers-là, selon que l’on est dans le métier bancaire, des agents de marchés interbancaires ou dans les sociétés de bourse. D’où cette idée de créer un groupe de travail ad hoc.
Et je voulais terminer sur cette nouvelle qui permettra d’enrichir le huitième arrêté.
Intervention de Jean Marcel LAUGINIE
Merci beaucoup, Monsieur le Président Jacques Campet, pour tout ce travail, toute cette action, et pour votre intervention.
Dans la deuxième partie de cet après-midi, nous allons essayer de voir en quoi une langue précise permet de mieux entreprendre, avec deux thèmes :
- le premier thème, c'est le témoignage d'un responsable d’entreprise qui est membre de l''APFA, notre association "Actions pour promouvoir le français des affaires" ;
- à travers le deuxième thème, plus technique, nous essaierons de montrer que les mots peuvent permettre de bien se comprendre au sein d’une technique fine qui est celle de la tontine ou des tontines.Retour au sommaire des actes des 6ème et 7ème journées
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