Exposé de M. Christian MORY
Chef du service Information - Documentation du Comité des constructeurs français de l'industrie automobile


Mon témoignage est un petit peu particulier dans la mesure où je représente une industrie, mais ma position n'est pas tout à fait celle de quelqu'un qui travaille exactement à l'intérieur d'une industrie.

Je travaille effectivement au Comité des constructeurs français d'automobiles, qui est une fédération professionnelle, et qui est chargée de représenter, de défendre les intérêts de deux groupes industriels très importants qui sont le groupe PSA Peugeot-Citroen d'une part, et le groupe Renault de l'autre. Donc, lorsqu'on travaille dans une fédération professionnelle comme la mienne, il est quelquefois délicat de faire la promotion du français puisqu'au sein des entreprises qui sont adhérentes à notre comité, on peut avoir affaire à des gens qui sont hostiles à l’emploi généralisé du français, indifférents ou qui n'osent pas ou qui n'osent plus, ou qui ont peur de lutter contre les anglicismes. Donc il faut toujours éviter de prendre les gens à rebrousse-poil, et essayer en quelque sorte de faire coïncider la mission d’une fédération professionnelle avec la défense de la langue française.

Alors, quelles sont justement les missions d'une fédération professionnelle ? C'est de défendre les intérêts de ses adhérents, c'est de les informer, et c'est leur apporter des services. Alors, comment justement assurer la promotion de la langue dans le cadre de ces missions ?

D’abord montrer que la défense d'une industrie s'accompagne d'une défense de la langue. Je vais prendre un exemple très simple que vous connaissez sans doute, il y a une dizaine d’années, Renault annonçait avec la participation de Matra, un nouveau type de véhicule qui au départ n'avait pas de nom générique, c'était la Renault Espace. Nous nous sommes efforcés d’accompagner le lancement de ce nouveau véhicule avec le lancement d'un nom nouveau ; nous avons en réunion de terminologie défini un terme qui était monospace, et nous avons en quelque sorte réussi le lancement du mot monospace pour accompagner le lancement du véhicule lui-même, de façon à bien montrer qu'on avait une innovation française qui était une création française, et non pas un véhicule qui était dérivé d’une idée américaine, puisqu'aux États-Unis on a vécu un peu l’équivalent mais dans le domaine utilitaire qu’on appelle les "minivans". Donc, nous avons voulu accompagner la naissance d'un produit par la naissance d'un terme nouveau. Et je crois qu’on a à peu près réussi, et ce qui est assez amusant, c’est que dans d’autres pays européens, il n’y a pas de terme réel pour désigner ce véhicule. Par exemple les Allemands n'ont pas de terme exact, les Anglais n'utilisent pas tellement l'américanisme "minivan", ils disent "multiplepost vehicle" ou "people carrier", et même certains d’entre eux, certains journalistes par exemple, lorsqu'ils doivent dans leurs articles en allemand ou en anglais désigner le véhicule, ils disent tout simplement un espace. Ce qui montre qu'on a, en quelque sorte, réussi à montrer qu'une innovation technique française pouvait s'accompagner d’une innovation linguistique.

On disait aussi tout à l'heure que ce qui est très important, c'est toujours de rappeler que ce qui compte, c'est le client, et donc il faut utiliser la langue du client. Et ne pas hésiter à décomplexer les gens en leur rappelant, toujours dans le domaine automobile, que les marques les plus prestigieuses ont des noms bien de chez nous comme Cadillac, comme Pontiac, comme Chevrolet, que même les Japonais pour certains de leurs modèles utilisent des noms à consonance française comme la Prairie.

Ce qu'on peut dire aussi c'est que quelquefois l'utilisation de l'anglais est en fait une indigence technique. Reprenons le cas de "l’airbag" qu’on voit proliférer dans certaines publicités actuellement. En fait, quand en français, on dit sac gonflable ou coussin gonflable, ça permet d’évoquer simplement une invention, certes ingénieuse, mais qui n’est pas considérable. Tandis qu'effectivement les gens ont tendance à employer l'anglais pour ajouter un peu de mystère à la chose et lui donner une espèce de magie.

Deuxième élément très important aussi, c'est d’informer, d'informer encore, et d'informer toujours. Et je ne cesse par exemple de faire la publicité notamment des arrêtés de terminologie, de montrer leur valeur ajoutée auprès des traducteurs, des spécialistes, des techniciens, pour les adapter justement à l'usage professionnel des gens qui en ont besoin. Il ne faut pas hésiter à faire un écrémage, une sélection et à axer en quelque sorte la communication de ces arrêtés sur trois ou quatre termes simplement, mais des termes qui sont importants et qui correspondent à l'usage qui va être fait.

Autre chose qui peut être faite également, c'est de rappeler de façon systématique les risques d’un emploi abusif des anglicismes, notamment une chose qui est très utile, c’est la surveillance qui est faite par le Conseil supérieur de l'audiovisuel au niveau des publicités télévisées. Donc lorsqu'on fait apparaître simplement la menace, simplement, sans être trop directif mais en disant attention aux risques que vous encourez avec le CSA, notamment vis-à-vis des directions de la publicité et directions de la communication, on aboutit souvent à des résultats intéressants, c’est-à-dire qu’on réussit à obtenir de l'autocontrôle et de l'autodiscipline. Les mesures qui sont prises aussi par le Bureau de Vérification de la Publicité, le BVP, sont très utiles également ; aussi de rappeler que quelques termes sont des marques déposées, par exemple "ABS", on parlait tout à l’heure du "walkman", ce sont d’excellents arguments pour amener les gens à l’autocontrôle.

Autre chose importante aussi, c’est de coopérer systématiquement de la façon la plus large possible avec les personnes concernées. C’est-à-dire que lorsqu’on doit définir un néologisme ou lorsqu’on doit communiquer sur un terme, il faut toujours associer les gens, les directions de la communication, les spécialistes, les techniciens, associer aussi, ça me paraît très important, les journalistes, parce que ce sont eux souvent qui vont communiquer les premiers en utilisant des termes, et quand ils n'ont pas le terme sous la main, ils vont employer des anglicismes, donc faire en sorte au maximum que les néologismes ou les termes français viennent de l'intérieur et n'apparaissent pas comme imposés de l’extérieur. Dans ce cadre là aussi, ce qui est également important c’est de faire participer les personnes à l'étranger, c'est-à-dire par exemple dans notre cas, on essaie d'associer les chambres syndicales en Suisse, en Belgique, ce qui nous permet non seulement d’avoir une dimension très large et de récupérer des idées intéressantes, mais aussi lorsqu'on communique vis-à-vis des entreprises, de leur dire : vous voyez vous n’êtes pas tout seuls, vous avez la Belgique, vous avez des gens en Suisse, des gens au Québec, des gens en Afrique également qui participent à ce grand monde de la francophonie, et ça nous permet de rappeler que le français est bel et bien une langue internationale, et que ce n'est pas seulement l'anglais qui est en cause. Et dans ce cadre-là j'ajouterai aussi, je crois qu’on le rappelait tout à l'heure, qu'il faut éviter de faire en sorte qu'il y ait une espèce simplement de jeu à deux entre l'anglais et le français, c’est-à-dire qu'il n'y a pas l'anglais ou le français, mais il y a d'autres langues, et dans le cadre de l’automobile aussi c'est très important, on peut jouer là-dessus, En fait, la langue qui compte en Europe, ce n'est pas tellement l'anglais, c’est l'allemand, parce que l’Allemagne est un pays constructeur très important, c'est un pays où naissent de nombreuses techniques, où il y a des sociétés très fortes et très importantes qui sont actives, donc on peut toujours utiliser un jeu à trois, ou même un jeu à deux, de l'allemand et du français, et en quelque sorte bien montrer que la langue marginale dans le cas de l'automobile, c’est souvent l'anglais.

Enfin, ce qui est important aussi, là ça me concerne plus particulièrement, c'est s’efforcer à l'autodiscipline. Je me suis aperçu très souvent qu'à partir du moment où, en tant que Comité des constructeurs français d’automobiles, c’est-à-dire en tant que fédération professionnelle, on s'imposait soi-même dans sa propre communication l'emploi de la langue française, des néologismes et des termes corrects en français, on était très souvent suivi parce qu'on constituait en quelque sorte une référence, le bon exemple à suivre, et que les gens qui avaient des doutes au sein des entreprises souvent se référaient à nous en disant : puisque notre fédération professionnelle utilise plutôt tel terme que tel autre, c’est donc bien celui-là qu'il faut utiliser. Par exemple chez nous, j’impose systématiquement le terme d’AGETAC, et je mets quelquefois entre parenthèses "GATT" pour les gens qui sont un peu anglomanes et qui ne savent pas ce que c’est, et je m’aperçois que finalement les gens mordent un petit peu et finissent par bien connaître l’AGETAC. D’ailleurs l’année prochaine, le terme de GATT va un petit peu disparaître ; on va avoir l'OMC qui sera beaucoup plus clair, je pense qu’on va réussir à l’imposer.

Je crois qu'il ne faut jamais baisser les bras, et notamment lorsqu'on appartient à une entité officielle, une fédération professionnelle ou même une administration, il faut bien se battre parce qu'on a des gens qui nous suivent et qui ont besoin de nous.

Enfin pour terminer, je vais donner quelques recettes de cuisine que j'utilise quelquefois vis-à-vis de gens qui disent : ah ! mais vous savez, l'anglais, on peut rien faire contre, c’est dans l'air du temps, c'est très important.

Première méthode que j’utilise quelquefois, je demande à des gens simplement de me préciser l'orthographe ou la prononciation de certains anglicismes. Je vais donner trois exemples: "shuttle", comment écrit-on "shuttle" ? "cocooning", et aussi tout simplement "baby sitter" qui est très employé. Quand vous demandez aux gens : mais au fait, comment on écrit ça ? Quelquefois vous semez un petit peu la panique auprès de vos interlocuteurs, et à ce moment-là on peut évidemment dire : mais vous savez en français on a un terme très simple, et qui s'écrit très simplement, et on gagne la partie.

Deuxième argument aussi, c’est de demander : mais comment vous écrivez ce terme au pluriel ? Par exemple "téléfax" "joint venture", "design", et à ce moment-là aussi on rencontre le silence, les gens se trouvent totalement interdits, c’est le moment d’introduire le mot français juste, et de leur dire voilà en français on dit télécopie, et puis au pluriel on met tout simplement un s. Ou société conjointe et on met un s à société et conjointe, et ainsi de suite.

Enfin, autre argument aussi, c'est de jouer les imbéciles. Par exemple quand quelqu'un vous dit : vous savez, on est "sponsor" de l’opération, alors vous dites : mais excusez-moi, je ne sais pas ce que ça veut dire, mais qu’est-ce que vous faites au juste ? Alors là les gens se disent : Ah ! Ben euh... Alors à ce moment-là, ils sont obligés de chercher en eux-mêmes, dans leur esprit, ils vont dire : on verse de l'argent, donc on finance, ou alors on parraine, c'est-à-dire on met simplement notre étiquette sur l'opération, et donc dans ces cas-là ce sont de petites astuces qui nous permettent très souvent de gagner la partie.

Voilà, je vous remercie.

Retour au sommaire des actes des 6ème et 7ème journées
Retour au sommaire des journées
Retour au sommaire général