Stelio FARANDJIS
Secrétaire général du Haut Conseil de la Francophonie
26 novembre 1998
Je suis toujours très heureux de saluer le Président Jean Marcel Lauginie que j'ai connu lorsqu'il a lancé l'association. Je l'ai encouragé d'ailleurs, à cette époque, et je ne fais que m'en réjouir. L'œuvre accomplie est immense, parce qu'il a réussi à joindre l'efficacité, la popularité et la qualité, c'est-à-dire qu'il y a toujours des lauréats de grande qualité qui font avancer la cause du français des affaires.
L'attention que Jean Marcel Lauginie me prête aux Mots d'Or est justifiée, pour une raison simple, sur laquelle si vous le voulez bien, je vais vous dire quelques mots.
Il y a dans Quintilien, un auteur latin du premier siècle avant Jésus-Christ, une métaphore exceptionnelle, et qui est que les mots doivent être comme les monnaies, de bon aloi, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de stabilité ou de régularité d'essor dans le commerce, s'il n'y a pas une stabilité et une confiance dans les instruments d'échanges monétaires. Voilà pourquoi, vous le savez, nous sommes en France, au-delà des clivages politiques, presque unanimes à considérer qu'il s'est commis une très grave erreur pour ne pas dire plus, lorsqu'en 1971, le Président des États-Unis d'Amérique a décrété que sa monnaie n'était plus convertible et qu'il y avait une liberté totale de flottement de sa monnaie, ce qui est évidemment très dommageable puisque cette monnaie est en même temps une monnaie de réserve internationale.
Est-ce qu'on a déjà vu des maçons prendre des mètres qui rallongent ou qui raccourcissent pour construire des maisons ? Je crois qu'avec la construction de l'Europe et de l'euro, nous sommes en plein dans le cœur de cette actualité, y compris pour nos amis francophones africains, j'ai vu que ce matin même, le Président de la République, M. Jacques Chirac entretenait ses pairs africains sur les rapports entre le franc CFA et l'euro, nous sommes entrés dans une nouvelle ère qui nous conduira à une plus grande stabilité dans les échanges. De même qu'il faut en effet un étalon-or dans les échanges commerciaux, il faut au commerce linguistique un étalon-or. Quand on parle avec un interlocuteur, on est toujours trois. Lui, vous et puis le sens de référence qui fait que ce qu'il dit et ce que j'entends ou inversement est intelligible et compréhensif ; il y a un véritable échange, il n'y a pas manipulation, il n'y a pas confusion. La qualité de l'échange entre deux interlocuteurs, tient au fait que, la langue n'est pas un cri, n'est pas un borborygme, c'est un échange social, c'est un commerce social et il faut par conséquent qu'il y ait un accord sur ce qui fait la valeur des mots. D'autant plus, que quand cette langue se rapporte au commerce, alors deux fois une nécessité pour qu'il y ait bon aloi. Bon aloi à la fois du point de vue commercial et bon aloi du point de vue sémantique. Cela ne veut pas dire rigidité, cela ne veut pas dire fixité, cela ne veut pas dire non plus que l'on va corseter la langue car après tout, la langue reflète l'évolution des choses, les réalités économiques, sociales, techniques, scientifiques et par conséquent, il est tout à fait normal que les mots évoluent aussi ou s'enrichissent ou changent de sens. Moi qui suis un modeste historien du sens, sémanticien et historien, je peux vous dire que c'est ma pâture, seulement il ne faut pas confondre rigidité et évolutivité et stabilité. Equilibre, confiance, honnêteté. C'est ce que réclamaient les gens des salons littéraires du 18ème siècle, ils ont fait la gloire d'une certaine civilisation française et de la langue française, c'est l'honnêteté dans le commerce langagier. Voilà pourquoi j'attache de l'importance à ce Mot d'Or et je suis enthousiaste devant cette action et cette œuvre accomplie par Jean Marcel Lauginie qui, avec très peu de moyens, a réussi à convaincre, à rallier à sa cause beaucoup de femmes et d'hommes responsables au-delà de la délégation générale à la langue française, dont le concours est évidemment précieux, mais y compris au ministère de l'Économie et des Finances et de l'Industrie, dont je salue d'ailleurs le Ministre de l'Industrie, M. Christian PIERRET, qui est un ami personnel de longue date.
Les lauréats n'ont jamais été aussi nombreux, et je me réjouis de voir qu'il y a un savant dosage entre ceux qui viennent des pays membres de la Communauté francophone et ceux qui viennent aussi de pays non membres de la Communauté francophone. Au mois de juin dernier, le Président Jacques Chirac réunissait le Haut Conseil de la Francophonie, et l'un des thèmes qui était à l'ordre du jour, c'était la francophonie en dehors de l'enceinte des sommets, car comme dit mon ami Jacky Simon, après tout on voit beaucoup de Francophones dans les pays dits non francophones ; il cite souvent la Grande-Bretagne, j'ai pu être présent le jour de la Francophonie, il y a deux ans à Londres, et je vous prie de croire qu'il y avait beaucoup de monde, donc il ne faut pas oublier nos amis, nos alliés.
Je salue les amis de la famille francophone et les amis qui sont à l'honneur aujourd'hui à travers leurs lauréats de l'Inde, de l'Irlande, de la Slovaquie et pourquoi ne pas avoir une pensée particulière aussi pour la Chine, Mlle Yu Sui, ne vous effrayez pas mademoiselle si les Francophones en Chine sont encore peu nombreux, l'ancien Président de la République, M. François Mitterrand disait à quelques amis, dont j'étais, on nous apprend aujourd'hui que dans la physique contemporaine, des petits noyaux peuvent dégager des énergies infinies ; par conséquent, on compte sur vous pour que, dans ce grand pays qui jouera un rôle de plus en plus important dans le concert mondial, dans la civilisation de l'universel qui est faite d'une polyphonie des langues et des cultures, il y ait de plus en plus de Francophones en Chine.
Jean Marcel Lauginie a fait une œuvre qui correspond à l'esprit, qui est celui du Haut Conseil de la Francophonie, et qui je crois, est aujourd'hui assez répandu, c'est-à-dire sortir de l'unilatéralisme et essayer d'accorder autant d'importance à l'expansion de la langue française dans le monde qu'à l'intérêt qu'on a pour les langues et les cultures des autres. D'ailleurs à une session du Haut Conseil sur l'Asie, le Président Jacques Chirac disait que ce qu'il fallait noter, c'était l'intérêt que nous avions en France avec l'Ecole française d'Extrême Orient, l'Institut national des langues et des cultures de l'Orient, pour les autres, et les autres ne vous accordent de l'importance, de l'intérêt et de la sympathie qu'autant que vous leur accordez vous-même de l'intérêt, de la curiosité et de l'estime.
Je salue aussi cet aspect dans l'œuvre de Jean Marcel Lauginie et du Mot d'Or. Est-ce que vous me permettez de vous dire que ma conviction la plus profonde, la plus intime est que nous allons aborder une civilisation, celle qu'on appelle maintenant du 21eme siècle, où les frontières, non seulement entre les nations ne seront plus celles qu'elles étaient au 19eme et encore au 20eme siècle, mais les frontières entre l'économie et la culture vont être bouleversées et les valeurs d'usage, les valeurs marchandes, les valeurs symboliques se mêleront de plus en plus au fur et à mesure que l'économie sera basée sur les produits immatériels. Qu'est-ce qu'un cédérom ? qu'est-ce que la valeur marchande qui revient à la matière première qui est dans un cédérom ? Très peu de chose. La valeur essentielle c'est le contenu immatériel, voilà pourquoi j'ai lancé le concept de révolution nootique c'est-à-dire qui n'est plus fondée sur la matière première mais sur la matière grise, sur la pensée, le savoir, l'intelligence, la culture et la mémoire ; les lauréats qui sont ici aujourd'hui sont les hirondelles qui annoncent ce printemps de la civilisation universelle.
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