LES QUESTIONS DE LA MONNAIE ÉLECTRONIQUE
Stéphane KUNESCH
Banque de France
Je vais d'abord tenter de définir ce qu'est la monnaie électronique parce que monnaie électronique vient d'une traduction de l'anglais "electronic money", et cette traduction a apporté quelques faux sens dans le monde des affaires français.
Traditionnellement, il faut distinguer tout ce qui relève du monde Internet que Mme Kimmerlin a présenté, notamment tout ce qui relève des messages, ce qu'on appelle "l'e-mail", de la messagerie électronique et puis il y a le domaine du commerce, du paiement, voire de la monnaie, qui est un autre domaine. Le commerce peut avoir lieu donc, via Internet, par la messagerie, le paiement s'effectuant par d'autres modes que l'Internet, il peut également s'effectuer par Internet, c'est-à-dire qu'on envoie des messages électroniques qui valent paiement sur l'Internet ; la monnaie électronique est encore autre chose, elle suppose en effet un pré-chargement du coté de l'utilisateur, c'est-à-dire que celui-ci a préalablement constitué une provision, un pouvoir d'achat électronique, en payant une banque ou un commerçant préalablement. Donc la monnaie électronique, c'est quelque chose de très spécifique, très spécial, qui est en fait, assez rare et qui est assez peu développé actuellement dans le monde de l'Internet.
Ces distinctions étaient nécessaires à mon avis parce que lorsqu'on a traduit "e-money" par monnaie électronique, on a souvent englobé, c'est notamment le cas dans les termes journalistiques, tout ce qui est paiement électronique dans le phénomène de monnaie électronique qui est beaucoup plus spécifique et qui intéresse les banques centrales parce qu'il s'agit d'un phénomène monétaire où il y a constitution préalable d'une provision, qui peut être considérée comme de la monnaie sous certaines conditions. Cette traduction donc, un petit peu faussée, s'explique notamment par le fait que la France est assez à la traîne des États-Unis, dans le domaine de la monnaie électronique. C'est aux États-Unis qu'on a vu apparaître les premiers phénomènes de monnaie électronique. Il y a notamment des sociétés qui s'appellent Cybercash, il y a également Globe Idée, qui est cette fois-ci une société française, mais qui fait référence à des termes anglais, donc, toutes ces sociétés qui sont basées sur les concepts de monnaie électronique utilisent souvent des termes anglo-saxons.
Alors, d'où vient le concept de monnaie électronique et comment est-il apparu ? En fait, ce concept de monnaie électronique est lié au développement des microprocesseurs qui permettent le stockage de données informatiques ou sécuritaires, c'est notamment les cartes à puces ; il est également lié au domaine des réseaux d'informations, le développement d'Internet notamment, et à l'utilisation de ces évolutions en matière d'échanges financiers.
Il y a quatre évolutions principales qui s'inscrivent dans une tendance de longue durée que l'on peut souligner.
D'abord le développement des applications relatives aux cartes prépayées, prépayé, ça veut dire notamment qu'on a d'abord payé une banque qui vous a donné une carte pré-chargée ; ce sont les cartes de France Télécom, par exemple, les cartes de télécommunications, on a d'abord payé, on a donc une carte qui permet d'utiliser les réseaux de télécommunications de l'opérateur, ces cartes pré-payées peuvent être mono-prestataires, ce qui veut dire qu'il y a identité entre l'émetteur et le commerçant, c'est le cas par exemple de France Télécom, ou multi-prestataires et là on entend que l'émetteur et l'accepteur sont différents. Par exemple, c'est une carte émise par une banque qui peut être acceptée auprès de différents commerçants, dans un espace géographique donné.
Deuxième évolution de longue durée, c'est l'apparition de réseaux dits ouverts, Mme Kimmerlin en a très bien parlé, réseaux donc ouverts à plus de 50 millions d'utilisateurs, dont un des meilleurs exemples est Internet. Le rôle des sociétés commerciales peut être de proposer aux utilisateurs de ces réseaux ouverts un catalogue de biens et services de différents fournisseurs, et qui intègre généralement une transaction de paiement, qu'elle soit ou non sur Internet. Cette activité est généralement nommée galerie marchande électronique.
Troisième évolution, c'est l'équipement croissant des ménages en ordinateurs personnels et en modems. Un modem, c'est un boîtier électronique qui permet à l'ordinateur de transmettre les données sur un réseau téléphonique.
Enfin quatrième évolution que je souhaitais souligner, c'est l'interaction des consommateurs pour la banque électronique. Actuellement en France, le principal vecteur de la banque électronique, c'est le minitel et dans le monde, c'est l'ordinateur. Les initiatives en matière de monnaie électronique, j'en ai déjà cité quelques unes, il faut savoir qu'en France, nous avons également quelques systèmes de monnaie électronique, l'un deux a pour opérateur la Compagnie Bancaire, d'autres projets concernent les cartes pré-payées et sont menés actuellement par les groupements d'intérêts économiques des cartes bancaires. Il faut en effet distinguer, (les deux systèmes français le montrent bien), deux types de monnaie électronique :
- l'un qui est basé sur les cartes pré-payées et qu'on appelle porte-monnaie électronique, P.M.E, en abréviation, c'est en fait des cartes plastiques comme les cartes bancaires, munies d'un microprocesseur et qui stockent un pouvoir d'achat. Ces cartes peuvent être soit jetables, comme les cartes France Télécom, soit rechargeables auprès d'automates. L'acte de paiement nécessite généralement un équipement spécifique du commerçant sous forme d'un terminal.
- Autre forme de monnaie électronique, c'est ce qu'on appelle le porte-monnaie virtuel. Virtuel c'est peut être un terme qui est mal choisi, mais qui permet de distinguer la monnaie électronique qui figure sur une mémoire d'ordinateur de la monnaie électronique qui figure sur une carte. Le porte-monnaie virtuel peut être stocké sur une mémoire d'ordinateur ou sur une disquette, sur un support électronique ou magnétique indifférent. Les porteurs peuvent donc transférer la monnaie électronique soit à un commerçant qui est relié au même réseau et qui est adhérent au même système, soit éventuellement à un autre porteur équipé lui-même du système, du même logiciel. L'équipement n'est donc pas uniquement à la charge du commerçant, comme dans le porte-monnaie électronique (où le commerçant doit avoir un terminal spécifique), il est également à la charge, ici, dans le porte-monnaie virtuel, du porteur qui doit avoir le même logiciel que le commerçant.
La définition qui a été donnée par les banques centrales de la monnaie électronique, je vous la donne pour mention, elle est un petit peu technique, vous voudrez bien m'en excuser, c'est "un droit de créance incorporé dans un support électronique qui peut être donc, soit une mémoire d'ordinateur, soit une carte et qui est accepté en tant que moyen de paiement par d'autres personnes que l'émetteur". Je vous donne cette définition juridique essentiellement parce qu'elle montre bien que ce qui est important, ce n'est pas tant le support que l'acceptation juridique en tant que moyen de paiement de ce qui va constituer la monnaie électronique.
Je terminerai en soulignant les différentes questions que soulève la monnaie électronique, notamment pour les banques centrales puisque j'en fais partie, une question qui est bien naturelle pour nous, c'est : la monnaie électronique est-elle de la monnaie ? Il faut savoir que la monnaie, c'est quelque chose de très précis pour les banques centrales. La monnaie se définit d'abord par son émetteur, généralement une banque centrale, ce sont des établissements de crédit pour la monnaie scripturale ; par ses fonctions, si l'on s'en tient à la définition fonctionnelle de la monnaie, celle-ci remplit des fonctions d'unité de compte, de réserve de valeurs et permet d'effectuer des transactions à l'intérieur d'une zone géographique donnée ; et par sa forme physique et ses règles pratiques d'échange, c'est-à-dire que les instruments qui permettent de la mobiliser, en d'autres termes les moyens de paiement au sens de la loi bancaire, permettent donc l'échange de la monnaie. En d'autres termes, on distingue souvent les moyens de paiement, c'est-à-dire la monnaie et les instruments de paiement, qui est ce qui permet de mobiliser la monnaie. Dans le cas de la monnaie fiduciaire, notamment, le moyen de paiement n'est pas distinct de l'instrument de paiement dans le sens où on considère que le moyen de paiement est également le support de stockage de la monnaie, c'est le billet ou la pièce. J'arrête là sur les considérations monétaires qui sont peut-être un petit peu techniques.
Les autres questions que peut poser la monnaie électronique renvoient, notamment, au statut de l'émetteur qui peut émettre de la monnaie électronique, qui peut protéger suffisamment le porteur de monnaie électronique et les banques centrales considèrent souvent que ce doit être des banques à qui doit être réservée l'émission de monnaie électronique.
Autres questions : quelle est la sécurité qui est attachée au support de monnaie électronique ? Quelle est la sécurité informatique, principalement dans les systèmes de porte-monnaie virtuel ? Et puis, quelle protection du consommateur ? Quelles sont dans le contrat, qui lie donc consommateur et émetteur, les dispositions qui doivent figurer ? En quelle langue ? etc. Il y a notamment des instances européennes qui se penchent actuellement sur ces questions.
Voilà ce que je voulais dire sur la monnaie électronique, merci de votre attention.Retour au sommaire des actes des 10ème et 11ème journées
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